La conception d'un enfant par Joël Legendre et son conjoint à l'aide d'une mère porteuse soulève une foule de questions d'ordre éthique sur les nouvelles technologies de reproduction. Mais, au moment où nous découvrons l'ampleur de la crise financière de notre gouvernement, ce dossier jette aussi un éclairage très utile sur la façon dont fonctionne l'État québécois.

La gratuité de la procréation assistée au Québec est un modèle même d'un programme mal conçu et mal géré, un cas de manuel, dont les péripéties illustrent de façon absolument limpide comment les programmes gouvernementaux sont happés par des engrenages qui mènent à une perte de contrôle.

Au départ, comme presque toujours, il y avait ce qui pouvait sembler une bonne idée: venir en aide aux femmes et aux couples infertiles qui n'ont pas les moyens de payer les coûts de la fécondation in vitro et de l'insémination.

Premièrement, il y a eu la grave erreur du mépris des coûts. Indépendamment de sa pertinence, l'idée aurait dû être tuée dans l'oeuf. Un système de santé qui peine à bien assurer les services essentiels ne peut ajouter un autre service sans être capable de démontrer qu'il est plus prioritaire que les services qu'il a déjà du mal à fournir. L'argumentaire de ce programme, voulant qu'en encadrant la pratique, on réduise les grossesses multiples, était trop fragile pour justifier l'opération. Encore une fois, le Québec a lancé un programme sans en avoir les moyens.

Deuxièmement, une absence de balises. Ce programme a été mené par le ministre Yves Bolduc, qui s'est rendu aux pressions de l'animatrice Julie Snyder, avec l'intention claire de faire un bon coup politique. Il a ainsi été lancé dans la précipitation, sans les assises scientifiques et administratives nécessaires. Le programme s'adresse aux couples et aux femmes qui le désirent, sans critère d'âge ou de pertinence, sauf le jugement du médecin traitant, dans une logique de bar ouvert.

Troisièmement, on a assisté à un glissement plus pernicieux: le gouvernement s'écartait de la mission traditionnelle du système de santé sans la réflexion qui s'imposait. D'une part, le programme s'adresse aussi à des clientèles qui n'ont pas de problème de santé, comme les lesbiennes, qui ont droit à des traitements de fertilité sans être infertiles. D'autre part, il vise moins à soigner ou à prévenir la maladie qu'à satisfaire des objectifs d'épanouissement personnel, au nom d'un droit qui n'existe pas formellement, soit celui d'avoir un enfant. Cela mène à une jolie contradiction, l'État remboursant les citoyens qui recourent à une procédure médicale, mais pas ceux qui arrivent au même résultat à travers l'adoption.

Quatrièmement, avec la logique bureaucratique de l'uniformité, le gouvernement a appliqué de façon mécanique les critères du système de santé même si on était hors du champ strict de la santé. Comme les soins sont gratuits, la procréation assistée est donc aussi devenue gratuite pour tous, y compris pour ceux qui ont les moyens de payer. D'où le cas Legendre. Et je suis persuadé que ce programme gratuit profite plus aux riches qu'aux pauvres.

Cinquièmement, l'engrenage des droits s'est enclenché. Comme le programme s'appliquait aux couples traditionnels, il s'appliquait aussi aux lesbiennes. Et si les homosexuelles y ont droit, ce droit doit s'appliquer par extension aux homosexuels, malgré des obstacles physiologiques évidents. Ce qui mène l'État québécois à payer l'insémination d'une mère porteuse à qui il n'accorde pas de reconnaissance légale.

Je ne critique pas le droit des parents gais d'avoir un enfant. Je critique l'universalité du programme, sa gratuité pour tous, l'absence de réflexion derrière sa conception. Et surtout, je veux montrer comment le Québec, avec des dizaines, des centaines de cas comme celui-là, finit par se retrouver en crise.