Il pourrait être tentant, pour le premier ministre Philippe Couillard, de mettre le couvercle sur la marmite. De se dire, maintenant que le Parti québécois a été défait, que l'on peut oublier le dossier de la Charte des valeurs et passer à autre chose.

Ce fut un peu la réaction de Jean Charest après le dépôt du rapport de la commission Bouchard-Taylor, qui a choisi de ne rien faire parce que la crise semblait désamorcée, avec les résultats que l'on sait.

Il est vrai que les problèmes invoqués par le gouvernement Marois pour justifier son projet de charte n'existent pas. Il n'y a pas de crise. Notre identité n'est pas menacée par une montée de l'intégrisme. Les cas d'accommodements déraisonnables sont rares. Le problème, c'est plutôt celui d'une société d'accueil qui manifeste des craintes vis-à-vis une immigration plus importante, dont l'intégration est plus lente. Il y a certainement là un malaise qui se manifeste aussi dans plusieurs sociétés.

Mais ce malaise a pris des proportions importantes à cause de l'exploitation éhontée qu'en a fait le gouvernement Marois, qui a transformé une simple irritation cutanée en bobo, et qui a tellement gratté le bobo que celui-ci s'est infecté pour devenir purulent. La plaie ne se guérira pas d'elle-même. D'autant plus qu'il y a un risque que l'opposition officielle continue d'en faire un cheval de bataille.

Pour ces raisons, le gouvernement Couillard doit s'attaquer à ce dossier, trouver une solution consensuelle pour rassurer les citoyens, désamorcer la crise provoquée par la stratégie du gouvernement précédent et rétablir la qualité des rapports entre la société d'accueil et ses minorités.

On sait que le nouveau gouvernement ne voudra pas interdire le port des signes religieux dits ostentatoires dans le secteur public. Il ne voudra pas plus d'une interdiction qui serait limitée aux représentants de l'État en poste d'autorité - juges, policiers, gardiens de prison - même si c'était une recommandation de la commission Bouchard-Taylor. L'idée, conceptuellement intéressante, nous aurait plongés dans des batailles légales pour un résultat pratiquement nul, puisque ces situations auraient été rarissimes.

Mais déjà, il y a un large consensus sur le reste du projet de Charte, sur ses principes, ceux de la laïcité et de l'égalité hommes-femmes, et sur la nécessité de définir des balises pour nous guider dans la façon dont on aménage les rapports avec les minorités religieuses.

Ce qui était toutefois fascinant avec le projet péquiste, c'est que les balises, très générales, qui étaient celles de la commission Bouchard-Taylor et qui sont celles qu'utilisent déjà les tribunaux, sont trop générales pour être d'un grand secours dans la vie de tous les jours.

Les organismes publics et les institutions ont besoin de plus que cela. Il serait utile de mettre sur pied un organisme qui puisse aider les décideurs lorsqu'ils sont confrontés à des cas d'accommodements, qui pourrait les conseiller, répondre à leurs demandes et établir une jurisprudence pour régler les problèmes en amont, avant les conflits et les recours aux tribunaux. Le projet du ministre Bernard Drainville ne prévoyait aucun mécanisme de cette nature, même s'il y a énormément de cas par cas dans les dossiers d'accommodements.

Un observatoire de l'intégrisme religieux, la proposition de la députée Fatima Houda-Pepin, est une autre bonne idée, pour comprendre et contrôler le phénomène et pour cibler les sources de l'intégrisme plutôt que de s'attaquer à ses victimes, comme l'aurait fait le congédiement des femmes qui portent des signes religieux dans l'appareil public.

Ce sont là des initiatives qui permettraient à M. Couillard de respecter ses engagements, mais de construire un consensus plus large que sa base électorale et d'agir comme le premier ministre de tous les Québécois.