Il y a un seul domaine agricole où le Québec exerce une domination sans partage. Le sirop d'érable. Et il ne court pas le risque, pour des raisons climatiques évidentes, de se faire déloger par une économie émergente.

Mais sans être menacé, ce monopole risque d'être sérieusement effrité par le développement très rapide de la production des États-Unis, l'autre pays producteur, dont la part du marché mondial est passée, dans les dernières années, de 20% à 30%, comme le montrait l'article de Mathieu Perrault dans La Presse+ d'hier.

«À mon avis, d'ici quatre ou cinq ans, les États-Unis seront autosuffisants en sirop», affirme dans cet article Yves Bernard, président d'Industries Bernard et Fils, un gros producteur acéricole. Si ses prédictions s'avéraient justes, ce serait un gros choc pour le Québec.

Le Québec, bon an mal an, produit autour de 90 millions de livres de sirop. Environ 45 millions de livres prennent le chemin des États-Unis. Si ceux-ci devenaient autosuffisants, le Québec perdrait la moitié de son marché.

On voit d'ailleurs déjà les premiers indices de ce renversement de tendance. En 2007, les exportations vers les États-Unis atteignaient 144,9 millions de dollars. En 2011, elles étaient de 143,8 millions, une baisse quand on tient compte de l'inflation. La part du marché américain dans les exportations québécoises est ainsi passée de 69,7% à 62,3%. Et ce n'est pas parce que le sirop d'érable n'est plus à la mode, bien au contraire.

Pourquoi? La principale cause, ce sont les effets pervers d'un système mis en place en 2002, quand les acériculteurs ont adopté le modèle chéri de l'agriculture québécoise, le système de gestion de l'offre.

La Fédération des producteurs acéricoles du Québec contrôle la production, impose des quotas aux producteurs, qui doivent vendre tout leur sirop, à l'exception des ventes directes aux consommateurs, à des acheteurs en vrac agréés ou à la Fédération elle-même. Ce système clos permet de limiter la production, de stabiliser les prix à un niveau élevé, notamment en accumulant des stocks, appelés réserves stratégiques.

Et comme dans d'autres productions, la Fédération dispose d'un pouvoir presque gouvernemental sur les producteurs et peut, par exemple, saisir le sirop de ceux qui refusent de participer au système. Avec toutes sortes de conséquences comme le marché noir et la mentalité de cartel.

Résultat, parce que les prix du Québec, le plus important acteur, sont artificiellement élevés, encore plus avec l'appréciation du dollar canadien, il devient plus intéressant pour les États américains de produire davantage, de faire de l'argent et de réussir à vendre moins cher que les Québécois. Selon The Globe and Mail, le Vermont a ainsi augmenté sa production de deux fois et demie depuis l'an 2000, de 1,6 à 4,1 millions de livres. Et ça s'active aux États-Unis, avec l'appui de la recherche universitaire et des subventions gouvernementales.

Le Québec peut compenser en diversifiant ses sources. Mais les marchés européens et japonais sont moins accessibles, et notre sirop y restera toujours un produit exotique, et non pas un aliment de base comme aux États-Unis.

Lorsque Jean Pronovost a déposé son rapport sur l'avenir de l'agriculture québécoise, en 2008, il avait justement pris le sirop d'érable pour illustrer les problèmes de notre agriculture et l'imperfection de la gestion de l'offre. Pensons à l'omniprésente «canne» de sirop avec sa cabane à sucre.

«Le régime de mise en marché, disait-il, est trop axé sur la production et la commercialisation de produits uniformes qui commandent des prix uniformes, considérés comme l'ultime mesure d'équité entre les producteurs. Quand on observe, dans nos épiceries, la variété quasi infinie des huiles d'olive, on rêve à ce qu'on pourrait faire ici en adoptant la même approche avec le sirop d'érable.»