Québec solidaire a recueilli 323 124 voix aux élections de la semaine dernière. Ses appuis ont augmenté depuis 2012, de 6,03 % des suffrages exprimés à 7,63 %. Et il sera dorénavant représenté par trois députés à l'Assemble nationale. C'est une excellente chose pour la démocratie et pour la qualité du débat public.

Mais il faut aussi se demander pour quoi exactement les Québécois votent quand ils appuient Québec solidaire. Pour un très grand nombre d'entre eux, ça n'a rien à voir avec le programme du parti, qu'ils n'ont sans doute pas lu. Québec solidaire n'est pas un parti social-démocrate, ce n'est pas un parti de gauche, mais un parti d'extrême gauche qui propose à bien des égards une version soft du rêve cubain et de l'expérience vénézuélienne.

C'est particulièrement vrai du « Plan de sortie du pétrole » qui ressemble plus à un chapitre d'un roman de science-fiction qu'à un projet politique. Québec solidaire propose de faire disparaître le pétrole en 15 ans. Vous avez bien lu, 15 ans. Personne ne propose sérieusement cela dans le monde industrialisé. Un changement radical, impossible à réaliser, tant aux plans technologique, financier et humain. 160 000 emplois financés avec des fonds publics, des monorails qui relient les petites villes, des campagnes de sensibilisation pour amener les gens à « penser autrement ».

Je peux comprendre qu'un petit parti de gauche qui ne formera jamais le gouvernement profite du fait qu'il n'est pas astreint aux contraintes du pouvoir pour faire rêver. Mais QS a franchi un pas de trop en basculant dans l'utopie.

Le cadre financier nage lui aussi dans le rêve. Les chiffres balancent, bien sûr. Ce n'est pas très difficile d'y arriver, quand on ne s'inquiète pas du déficit et de la dette et qu'il suffit, après avoir promis d'augmenter les dépenses publiques de 8 milliards par année, d'augmenter les impôts en conséquence. Et de faire du Québec un endroit à la fiscalité unique au monde. Sans se demander si les revenus fiscaux dont on rêve seraient encore au rendez-vous. Et derrière les chiffres, un projet de société où le développement passe par l'État. Un genre de modèle qui a mené à l'échec partout où il a été essayé.

Pourquoi donc voter pour QS ? Pour faire disparaître le pétrole en 15 ans ? Pour nationaliser l'industrie pharmaceutique ? Pour créer 160 000 emplois dans les transports en commun ? Bien sûr que non. Mais il y a une foule d'autres bonnes raisons. Parce qu'on a le coeur à gauche. Parce qu'on est déçus du virage à droite du PQ. Parce qu'on voudrait que la politique se fasse autrement. Parce que QS est plus « cool », comme le pensent souvent les jeunes. Pour la diversité à l'Assemblée nationale. Parce qu'on aime ses représentants, surtout Françoise David, qui se distingue dans les débats des chefs.

Le résultat est positif, car QS joue un rôle utile dans la vie démocratique. Sa présence contribue à la qualité du débat public, d'autant plus que ses porte-parole, dans leurs interventions, sont pas mal plus sensés que le programme.

On sait aussi que le progrès social n'aurait pas été possible sans courants de gauche qui ont proposé des projets qui souvent, au départ, semblaient irréalistes. C'est encore vrai. Certaines idées qui proviennent de la gauche finiront par inspirer ceux qui détiennent le pouvoir.

Un parti comme QS a enfin une autre fonction : celle de révélateur de fractures sociales. L'image qui me vient, c'est celle des canaris que l'on apportait dans les mines de charbon, parce que ces petits oiseaux étaient plus sensibles aux émanations mortelles et dont le malaise avertissait les mineurs des dangers. Nous avons besoin de gens pour nous rappeler l'existence de ceux que l'on aurait tendance à oublier.