Peut-être vous souvenez-vous de Nojoud Ali? Cette jeune Yéménite mariée à 9 ans qui a réussi le coup de force de fuir son mari et de devenir la plus jeune divorcée de la planète?

Six ans après ce spectaculaire affranchissement, que la fillette a raconté dans un best-seller planétaire, Moi, Nojood, 10 ans, divorcée, le Yémen pourrait bientôt placer les mariages précoces sous le coup de l'interdit. Si tout va bien, la prochaine Constitution, actuellement en voie de rédaction, établira l'âge légal pour le mariage à 18 ans.

Cela ne signifie pas que cette pratique endémique au Yémen, où la majorité des fillettes sont mariées bien avant cet âge, disparaîtra par un coup de baguette magique. Mais au moins, les adolescentes pourront invoquer la loi pour échapper à des unions forcées. Comme c'est le cas dans la vaste majorité des pays de la planète.

Le Yémen jouit du triste statut du pays le plus inégalitaire pour les femmes, selon le dernier classement du Forum économique mondial. Si ce changement législatif crucial est aujourd'hui envisageable, c'est grâce à des femmes comme Safa Rawiah, directrice d'une organisation qui aide les jeunes Yéménites à jouer un rôle plus actif dans la société. Et qui a mené une campagne acharnée contre les mariages précoces.

Au printemps 2011, quand la fièvre du printemps s'est répandue dans le monde arabe, de jeunes manifestants sont aussi descendus dans les rues de Sanaa, la capitale du Yémen. «À l'époque, ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils voulaient et ils ne savaient pas comment parler au pouvoir», se rappelle Safa Rawiah. Très vite, ces jeunes protestataires ont été rejoints par des politiciens qui ont utilisé leur révolte à leurs propres fins. «Alors, les jeunes se sont retirés», déplore la jeune femme, qui était de passage à Montréal, la semaine dernière, pour recevoir le prix Équitas de l'éducation aux droits humains au nom de son organisme, La Fondation pour le développement du leadership chez les jeunes.

Le but de l'organisme: faire revenir les jeunes Yéménites en général, et les jeunes femmes en particulier, dans le champ politique.

Safa Rawiah confie qu'elle rame trop souvent à contre-courant. Le Yémen ne va pas trop bien, ces jours-ci. Entre les kidnappings et les attaques de groupes armés affiliés à Al-Qaïda, l'insécurité est telle qu'une grande partie du pays est inaccessible. «La situation est devenue dangereuse, même à Sanaa», déplore Safa.

Et puis, il y a les traditions qui relèguent les questions touchant les femmes au dernier rang des priorités, dans ce pays dominé par les hommes.

Mais en même temps, les quelques graines de liberté semées au printemps 2011 au Yémen sont en train de donner leurs premiers fruits, loin de l'attention des médias internationaux.

Ainsi, le départ pacifique de l'ancien président Ali Abdullah Saleh a été suivi par l'instauration d'une Conférence de dialogue national qui vient d'accoucher d'une entente de principe sur la prochaine Constitution. La question de l'âge légal du mariage y a fait l'objet de débats enflammés, pour finalement aboutir à ce consensus: pas avant 18 ans.

Sous la pression de la communauté internationale, les dirigeants du pays ont accepté que 30% des participants à la conférence soient... des participantes. Une véritable révolution qui a fini par recevoir le feu vert des chefs religieux du pays.

Au-delà de cette victoire sur l'âge du mariage, c'est cette toute nouvelle percée de participation féminine qui réjouit Safa Rawiah. Dans ce pays où la majorité des femmes n'ont pas accès à l'éducation et ne peuvent pas travailler, l'idée d'être assise à la même table que des hommes pour dessiner l'avenir du pays a fait son chemin.

À un point tel que Safa craint maintenant un retour du balancier. «Nous ne voulons pas que les hommes prennent trop vite conscience du fait que les femmes sont aujourd'hui prêtes à donner leur point de vue, à discuter, à dire non...»

La fondatrice de l'ONG que dirige Safa Rawiah fait partie du comité qui planche sur la future Constitution, laquelle fixera enfin un âge légal pour le mariage dans un des derniers pays à n'avoir pas encore franchi ce pas.

Ce n'est peut-être pas énorme, mais à la mesure d'autres printemps arabes, qui ont tourné autrement plus mal, l'expérience du Yémen est porteuse d'espoir.