Je m'appelle Nicolas Moreau, j'ai 16 ans et j'aimerais que vous répondiez à quelques questions... C'était il y a dix ans, janvier 2004, le jeune homme m'interrogeait sur l'amour, la marijuana, la réussite. Que signifie réussir? Quand je le demande à mon père, il me répond toujours tu dois travailler plus fort, mon fils, et ça commence à me faire royalement chier...

J'en avais tiré une allègre chronique à l'époque. Et je n'ai plus jamais entendu parler de ce garçon jusqu'à ce qu'il rebondisse l'autre jour. Je m'appelle toujours Nicolas Moreau, j'ai 26 ans, je répondrais volontiers à vos questions si vous en avez...

J'en avais plein. Travailles-tu, aimes-tu ta job, as-tu des dettes, as-tu une blonde, qu'écoutes-tu comme musique, fumes-tu du pot (ça avait l'air bien important à l'époque), combien paies-tu de loyer, as-tu un char, et tiens, tu tombes bien, pour qui vas-tu voter, pour qui as-tu voté la dernière fois, votes-tu, au moins?

J'ai voté à toutes les élections depuis que j'ai le droit de vote.

Même aux municipales?

Pas aux dernières, je suis dans Mont-Royal, où le maire Philippe Roy a été réélu par acclamation. C'est mon oncle, en passant, même que je suis le parrain de son fils.

Le neveu du maire de Ville Mont-Royal! Ciel! Alors t'as voté libéral en 2012?

Pas du tout. Il est hors de question que je vote libéral ou péquiste. J'ai voté NPD au fédéral, j'ai voté marxiste-léniniste au Québec parce qu'il n'y avait pas de Québec solidaire. Cette fois, il y en a un.

Es-tu souverainiste?

Je ne sais pas quoi vous répondre. Ce n'est pas que votre question m'embarrasse: elle ne m'interpelle pas. Je ne lèverai pas le petit doigt pour que le Québec devienne indépendant, je ne le lèverai pas non plus pour qu'il ne le devienne pas. Ma réponse vous déconcerte sans doute, mais les gens de mon âge s'y reconnaîtront; pour nous, la souveraineté n'est pas un enjeu.

La politique t'intéresse?

La politique. Et l'histoire. Et l'actualité.

Tu adhères vraiment aux valeurs de Québec solidaire? Le partage de la richesse, par exemple?

Oui, mais pas seulement au sens de se partager la richesse des riches. Au sens des autres richesses - l'information, la culture - à partager avec ceux qui n'y ont pas accès. Pour cela, internet est un formidable outil... de gauche.

Tu travailles dans quoi?

Je suis technicien métadata chez Technicolor, je télécharge des films sur différentes plateformes numériques où vont pouvoir les acheter les consommateurs, je travaille aussi sur le projet Éléphant, ce projet de numérisation du cinéma québécois.

Puisque vous me le demandez, je gagne autour de 40 000 $ par année, j'ai appris ce métier-là au collège LaSalle, une sorte de petit miracle... Il y a dix ans, ça n'allait pas fort à l'école, j'ai dû reprendre mon secondaire V avec le programme Éducation des adultes, j'ai niaisé dans deux cégeps avant de me retrouver à LaSalle dans ce cours qui m'a tout de suite convenu.

La job, je l'ai eue par une banque de placement à la fin du cours. À travers ça, il y a eu un projet photo qui m'a mené au Sri Lanka, Singapour et en Égypte avec un des fils Trudeau, mais pas Justin, Alexandre.

Et me voilà, j'ai 26 ans, ma blonde qui se destine à l'enseignement au préscolaire allait à son premier stage ce matin, on n'habite pas ensemble, j'habite un demi-sous-sol, une seule pièce, je paie 500 $ de loyer, j'ai pas de char. Pas d'autres questions? On se reparle dans dix ans?

Attends, on n'a pas parlé d'amour...

Vous vous souvenez de ce que vous m'a dit là-dessus il y a dix ans? Vous m'avez recommandé deux films de Bertolucci, ce cinéaste italien dont tous les titres de films commencent par le dernier... Le dernier empereur, Le dernier tango à Paris, Le dernier lapin, Le dernier qui part éteint la lumière...

Tu dis n'importe quoi, Nicolas, là...

Et j'ai appris ça de qui, vous pensez?

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UN OUBLI - Je vois beaucoup de films québécois sans me surprendre que les plus convenus sont aussi les plus acclamés. C'est comme ça partout, pour tout, je comprends ça. C'est normal. Mais y a des limites.

Je venais de louer pour la deuxième fois Une jeune fille de Catherine Martin, c'est l'histoire d'une jeune fille taiseuse qui tombe amoureuse d'un paysage et, tout doucement, du type, pas bavard non plus, qui se trouve dedans. Un film magnifique avec des silences.

Lundi dernier, lendemain du gala des Jutra, je cherche les gagnants dans le journal, OK «mon» film n'a pas gagné le Jutra du meilleur film, ni celui de la meilleure réalisation, pas la meilleure actrice, finalement il n'a rien gagné. C'est bien correct. Sauf que je me suis mis à vérifier dans les neuf catégories: Une jeune fille n'était en nomination nullle part.

Ben là! C'est un oubli, forcément. D'ailleurs, je suggère aux gens du cinéma une nouvelle catégorie, le Jutra de l'oubli. Claude (Jutra) serait le premier à la trouver drôle.

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PÉPÈRE LA VIRGULE - Il n'est pas, dans tout le Canada, un pro de la rénovation, pas un patenteux, pas un menuisier, pas un jardinier qui ne connaisse Lee Valley. Une superquincaillerie dans laquelle on trouve des choses étonnantes comme cette chignole dotée d'un engrenage à pignon et d'un mandrin à trois mors de 3/8 de pouce. Poignées courtes et renflées en hêtre peint.

C'est pas beau, ça? Un mandrin à trois mors, des poignées renflées en hêtre peint... douce musique. Habitué aux rugueux catalogues Rona et autre Home Depot, j'avais oublié qu'une perceuse pouvait être une chignole, un mot de mon enfance. Passe-moi la chignole, me commandait l'artisan ébéniste du bout de ma rue quand j'allais le voir travailler. Il me revient qu'il appelait son chat Chagnole.

Vous trouverez encore dans le catalogue de Lee Valley un tourne-bille à éperon, un restaurateur de filetage externe qui tourne le long des filets pour les refaçonner de l'intérieur vers l'extérieur. Poésie de quincaillerie tant que vous voudrez, ce rare hommage à notre langue est d'autant plus étonnant qu'on trouve une quinzaine de Lee Valley au Canada, mais aucun au Québec.