Il y a rarement de l'amour dans l'air, sur le plateau de télé, les soirs de débats des chefs, mais de mémoire, je ne me souviens pas, tant au provincial qu'au fédéral, que trois des quatre chefs se soient détestés à ce point.

Il y avait de la tension entre Lucien Bouchard et Jean Charest, mais pas de hargne. André Boisclair, Jean Charest et Mario Dumont n'avaient pas beaucoup d'atomes crochus, mais leurs relations étaient civilisées.

En 2012, Pauline Marois et Jean Charest avaient accumulé un certain capital d'antipathie et François Legault, ancien compagnon d'armes de la chef péquiste, vouait une inimitié certaine à la chef péquiste, mais la soirée s'était tout de même déroulée sans accrochages majeurs.

Ce soir, le même scénario pourrait se répéter (le stress des débats, la pression et leur côté solennel écrasent souvent les chefs), mais l'aiguille de l'«animositénomètre» est tellement élevée entre les trois protagonistes (pas de panique, militants du QS, je vais parler de Françoise David plus bas) qu'une prise de bec est fort possible. D'autant que, soyons honnêtes, un débat des chefs est d'abord et avant tout un show de télé et que ce sont les pointes assassines qui passent à l'histoire, pas les échanges de salon de thé.

D'autant, aussi, que le fond de l'air est mauvais. Entre les bisbilles électorales préréférendaires et celles, latentes, autour de la Charte de la laïcité et les débats identitaires, le potentiel de mornifles est assez élevé.

Mais tous les chefs voudront présenter un visage posé, raisonnable, rassurant. Après tout, ils sont en entrevue pour la plus grosse job au Québec.

Le mot «référendum» risque toutefois de battre des records d'occurrences ce soir! On pourrait presque faire un concours: cinq fois le mot «référendum» en une minute: cinq ailes de poulet!

C'est que, plus sérieusement, le principal adversaire de la première ministre sortante a tout intérêt à continuer de taper sur ce clou. C'est redondant et plutôt court parce que cela éclipse les autres sujets importants, mais cela semble fonctionner pour les libéraux.

François Legault, lui, doit profiter de ces moments pour marteler son message: les deux vieux partis qui se chicanent sur les vieux débats. Cette approche n'a pas été très payante pour lui à ce jour, mais il se retrouvera ce soir devant l'électorat québécois, sur le même pied que les chefs du PQ et du PLQ. Pour M. Legault, c'est le tout pour le tout.

Pauline Marois, elle, doit rester calme, ferme et rassurante. Ses stratèges ont choisi «Déterminée» pour son autocar. Les slogans de ce genre ne naissent pas par génération spontanée, ils viennent d'études au sein de l'électorat.

Philippe Couillard, lui, doit faire bonne impression. Dans cette campagne, il est plus combatif qu'on aurait pu croire, mais il doit prendre garde aux dérapages.

Au début de la campagne, on l'a entendu dire qu'il «déteste» le gouvernement Marois et, hier, que le PQ essaie de «fourrer les Québécois» avec sa stratégie référendaire.

On sent parfois l'exaspération dans le ton et les mots du chef libéral. Cela passe plutôt mal à la télé.

M. Couillard a aussi prévenu hier qu'il répliquera coup pour coup aux allusions à ses liens passés avec Arthur Porter. Si la chef du PQ parle de ça, le chef libéral ramènera l'histoire du «deal» (entre la FTQ et le mari de Pauline Marois, Claude Blanchet) dont il a été question à la commission Charbonneau.

M. Couillard a déjà prévenu hier que Mme Marois «va y goûter» si elle tente de l'attaquer sur ce front. Les péquistes ont poussé les hauts cris, dénonçant l'«intimidation» et exigeant des excuses.

De l'intimidation? Des excuses? Vraiment? Avec toutes les vacheries qu'on entend à l'Assemblée nationale?

Pauline Marois a la couenne plus dure que ça. Si Philippe Couillard avait dit: «Elle va en manger une!», ou «Je vais lui faire sa fête», soit. Mais ça? Opérette de campagne, rien de plus.

Et Françoise David dans tout ça?

Mme David doit faire ce qu'elle fait de mieux: être Françoise David, femme digne, intègre, posée et indépendante, porteuse d'un projet différent, comme elle l'avait fait, avec succès, en 2012.