Il y a eu George W. Bush en 2009. Bill Clinton en 2010. Mikhaïl Gorbatchev en 2011.

Le réseau des grands conférenciers qui passent occasionnellement par Montréal comprend une bonne liste d'anciens dirigeants qui meublent leur retraite politique avec des tournées de discours grassement rémunérés.

Hillary Clinton représente un cas de figure différent. Ancienne sénatrice, ancienne première dame et ancienne secrétaire d'État, Mme Clinton est certainement une « ex ». Mais il y a de fortes chances qu'elle soit aussi la prochaine candidate démocrate à la présidentielle américaine de 2016. Voire, qui sait, la prochaine présidente des États-Unis.

Ce ne sont donc pas uniquement ses états de service, mais aussi cet immense point d'interrogation au-dessus de son avenir qui ont attiré des milliers de curieux à la conférence organisée par la Chambre de commerce de Montréal, hier soir.

En bonne « ex », Hillary Clinton a consacré son discours à un sujet qui lui est cher : l'égalité entre les hommes et les femmes. Un sujet qu'elle connaît par coeur, et qu'elle a défendu avec conviction, parsemant son allocution de statistiques démontrant que la participation des femmes est rentable socialement, économiquement et politiquement. Sans oublier de citer quelques exemples de projets menés par la Fondation Bill, Hillary et Chelsea Clinton.

Fort bien, mais on était loin de la Hillary Clinton battante, qui défend ses projets avec passion. En l'écoutant, je repensais à la manière dont elle avait argumenté en faveur du droit à l'avortement devant un comité du Congrès, il y a quatre ans.

Il fallait la voir assurer son adversaire politique de tout son respect, avant de le mettre littéralement K.-O. par un plaidoyer clair, concis et sans atermoiements pour le droit à l'avortement légal et sécuritaire. Ça vaut la peine d'aller voir ça sur YouTube : une pièce d'anthologie sur l'art de clouer le bec à un adversaire par une argumentation sans appel.

Ce n'est pas cette Hillary Clinton-là qui s'est adressée hier à un public qui, de toute façon, n'avait pas besoin d'être converti à l'importance des droits des femmes. Et qui se doutait sans doute déjà que tout n'était pas réglé en cette matière.

En bonne « ex », Hillary Clinton a entretenu l'auditoire avec simplicité, a fait quelques blagues, a rappelé que sa propre carrière recèle sa part de hauts et de bas, avant de citer un fameux conseil d'Eleanor Roosevelt, suggérant aux femmes qui veulent se lancer en politique de s'assurer que leur peau soit aussi épaisse que celle d'un rhinocéros.

Fort bien, mais tout cela restait un peu mollasson. C'est dans la deuxième partie de la soirée, quand elle a répondu aux questions de la PDG de Gaz Métro, Sophie Brochu, que Mme Clinton a mis de côté ses habits d'« ex » pour redevenir la politicienne qu'elle est, jusqu'au bout des ongles.

Et c'est quand il a été question de la Russie et de l'Ukraine qu'elle s'est réveillée véritablement. Sa seule manière de prononcer le nom de Poutine, avec un fond d'hostilité et de dédain dans la voix, donnait des accents de guerre froide au gouffre qui se creuse à vue d'oeil entre Washington et Moscou.

Elle a défendu la décision d'élargir l'OTAN aux anciens satellites de l'URSS, a critiqué la Russie pour ses incursions « agressives » dans l'Arctique et a nommé une liste de pays potentiellement exposés aux velléités territoriales de Moscou : Estonie, Lituanie, Moldavie...

C'était la Hillary Clinton battante, résiliente et affirmée. Une Hillary Clinton qui est encore bien vivante, malgré tous les efforts qu'elle fait pour avoir l'air d'un « ex ». En sortant du Palais des congrès, hier, j'avais de la peine à croire qu'elle se contenterait de rester dans les coulisses en 2016.

La formule de ces grandes conférences, sans doute imposée par les conférenciers eux-mêmes, fait en sorte que l'on évite toute véritable confrontation d'idées. Mme Sophie Brochu a fait des efforts louables, hier, pour tirer les vers du nez de Mme Clinton sur ses intentions présidentielles. Mais celle-ci a disposé de la question par une pirouette.

Quant aux questions potentiellement controversées, ne serait-ce que sur son legs au secrétariat d'État - qui comporte l'assassinat d'Oussama ben Laden et le recours aux drones dans des bombardements qui tuent des civils -, elles ne sont tout simplement pas envisageables dans ces rencontres par définition complaisantes.

Dommage.