C'est quand c'est porno?

C'est quand ça ne l'est pas?

Vous dites? Quand c'est de l'amour, c'est pas porno? Ah bon.

Et quand c'est du cinéma, alors? Je veux dire les deux comédiennes dans La vie d'Adèle ne sont pas en amour, ce sont deux comédiennes qui jouent l'amour, qui le représentent, qui font semblant. Quand vous les avez vues se faire des minouches à tout va, se rentrer les doigts et tout ça, vous avez dit oh la la, qu'est-ce que c'est beau l'amour?

Je ne dis pas que j'ai pas aimé ces scènes-là. Je me demande juste ce qu'on veut nous montrer et pourquoi. En aurait-on montré autant si cela avait été deux garçons? C'est facile deux filles, pas salissant, rien qui ne rentre dans rien. J'ai lu que Kechiche, le réalisateur, avait pris des sacrés risques en tournant ces scènes-là. Je trouve pas. Je ne vois pas bien où est le risque. Sauf celui du cliché. Tourner des scènes de cul magnifiques, c'est gagnant à tous les coups, c'est un peu comme filmer un coucher de soleil dans la baie de Rio, tout le monde il fait ah! tout le monde il fait oh! Si, en plus, c'est de l'amour. Et de l'art. Ah ben là...

La scène la plus extraordinaire de ce film d'amour, c'est pas une scène de cul, c'est une scène de désamour, le moment précis où la peintre, l'amante d'Adèle, cesse de l'aimer. Ça se passe dans un party de peintres, d'esthètes, d'écrivains. Adèle, jeune institutrice pas très cultivée - en peinture, elle connaît Picasso -, Adèle fait le service, la bouffe, et tout à coup, son amante en a un peu honte. Ma blonde est une bonniche. De quoi ai-je l'air devant mes amis?

Le moment où tout bascule. En fait, c'est un endroit. Tu sais quand il pleut? Il y a un endroit où la pluie finit? Là. Tu l'aimes depuis deux ans, et hier encore, et ce matin, et même il y a cinq minutes tu l'aimais, t'es dans un party chez des amis, tu lèves les yeux, elle est là, elle parle avec je ne sais pas qui, paf tu l'aimes plus. C'est fini. Tu vas essayer de le lui dire, écoute ça chérie, j'étais sur la route, il pleuvait et tout d'un coup, il ne pleuvait plus.

C'est amusant, elle dit.

Tu trouves?

Il y a une scène comme ça, muette, dans La vie d'Adèle. Dans le chagrin, elle va devenir sublime. Elle s'affole, s'accroche, renifle, morve, et la voilà mille fois plus désirable que dans les scènes de cul, elle nous renvoie même à une autre Adèle éperdue d'amour pour un crétin elle aussi, celle de Victor Hugo et de Truffaut, la Adèle H jouée par Adjani.

J'aime toutes les Adèles, je crois bien.

DANS UN HÔPITAL PRÈS DE CHEZ VOUS - Une psychiatre, deux infirmières, une travailleuse sociale, une petite équipe très soudée qui traite, là, tout de suite, des gens en crise, suicidaires de tout genre, ruptures amoureuses, alcooliques en détresse.

Josée, la travailleuse sociale, venait de revenir. Elle avait été prêtée pour quelques semaines à un autre service. En son absence il y avait eu Fannie qui avait été rappelée elle-même et remplacée par Sylviane. Mais bon, Josée était revenue le lundi... le jeudi, elle recevait l'ordre d'aller remplacer une collègue malade à l'urgence.

Est arrivée Manon pour remplacer Josée. Manon vient d'un CLSC, ne connaît pas le milieu hospitalier, un peu étrangère aussi au concept de l'équipe, mais c'est une fille formidable, youpi tout est bien qui finit bien.

Sauf que c'est pas fini.

Le vendredi, Manon est convoquée chez le gestionnaire des remplacements qui lui explique qu'il y a eu une erreur, la convention collective est claire, son statut ne lui permet pas de rester dans l'équipe de la psy, d'ailleurs, on a besoin d'elle pour la collecte des données...

Manon regimbe. Pas envie de se retrouver dans un bureau. Se sent pas mal plus utile dans l'équipe de la psy. Elle ira voir son syndicat.

La psy aussi en a assez. Courriel au gestionnaire numéro un. C'est bientôt fini vos niaiseries? Le gestionnaire numéro un la réfère au numéro 2. La psy lui parle de stabilité, de continuité des soins, lui rappelle que le patient devrait être au centre des préoccupations de tout un chacun, même des gestionnaires, elle l'invite à visiter son service...

Il n'a pas le temps.

Hier matin, Manon a annoncé qu'elle restait dans l'équipe mais que c'était temporaire. Il y aura une autre réunion avec le syndicat, les gestionnaires, les ressources humaines pour statuer sur son cas.

En rentrant chez elle, la psy a entendu quelqu'un dire à la télé que les Québécois n'avaient plus les moyens de se payer leur service de santé.

Celui-là peut-être pas, en effet.

PÉPÈRE LA VIRGULE - Pourquoi nos enfants sortent-ils de l'école ignorants? C'est une bonne question, je trouve. C'est aussi le titre d'un petit livre passé deux fois plutôt qu'une sous mon radar, une première fois quand il est sorti en 2008 et une seconde quand Boréal en a fait un nouveau tirage l'an dernier.

L'auteur, Patrick Moreau est prof de littérature au cégep Ahuntsic, du moins l'était-il quand il a écrit son livre.

Sur l'estime de soi: l'omniprésence de l'estime de soi dans le discours de l'école encourage dans les faits un contentement de soi guère propice à l'effort.

Sur les élèves en difficulté: Décrochage, les élèves en difficulté prennent toute la place quand on parle d'éducation au Québec, ce serait une bonne idée qu'on s'intéresse aussi aux élèves qui restent à l'école...

Le fun: le fun est devenu le critère suprême pour tout évaluer. Si c'est pas le fun, alors c'est pas un bon prof.

Le cercle vicieux: des étudiants mal formés deviendront des professeurs incompétents qui, à leur tour, formeront mal leurs élèves, qui deviendront d'autres profs incompétents, qui...

À lire absolument. Pourquoi nos enfants sortent-ils de l'école ignorants? Patrick Moreau, Boréal, 140 pages. Un pamphlet, dit-on en quatrième de couverture. Je ne trouve pas. Le pamphlet - je crois savoir de quoi je parle - rentre dans le tas sans trop se demander si c'est juste ou pas. Ce livre-là est, au contraire, une radiographie effroyablement précise du cancer qui ronge l'éducation au Québec.