Est-ce que la Russie serait dans la liste de vos pays préférés? Moi, oui. Il y aurait la France, les États-Unis (surtout l'est et le sud), la Chine, la Russie, l'Irak d'avant, la Syrie d'avant, l'Inde, pas trop l'Italie. C'est le plus beau pays de tous, l'Italie, mais qu'est-ce qu'ils peuvent me tomber sur les nerfs souvent!

Dans la liste des pays que j'aime le moins, il y aurait la Finlande - j'en ai pourtant rêvé longtemps à cause du mot «Finlande» - et puis j'ai fini par y aller. Je m'en souviens, c'était un samedi soir, Helsinki était jonché de corps comme après un bombardement, sauf qu'ils n'étaient pas morts, juste saouls. De Helsinki j'ai pris le train pour Leningrad, qui venait de retrouver son vieux nom de Saint-Pétersbourg. J'ai adoré la Russie, qui pourtant est aussi un pays d'ivrognes. Ce n'est pas toujours clair pourquoi on aime des pays et d'autres pas.

Moi, ça tient beaucoup aux livres. J'ai rien lu de finlandais, sauf tout récemment Purge de Sofi Oksanen. J'ai pas trop aimé. J'aimais la Russie d'avance parce que mon tout premier roman d'amour quand j'étais petit a été Anna Karénine. C'est idiot, je sais bien, c'est un peu comme si un Papou vous disait: j'aimais le Québec d'avance parce que j'ai lu Hubert Aquin...

Qui?

Évidemment, je n'ai pas trouvé les Russes aussi amoureux que dans Tolstoï, aussi tordus que dans Dostoïevski, aussi fuckés que dans Limonov qui, de toute façon, n'était pas connu à l'époque. Dans le train entre Saint-Pétersbourg et Moscou, je lisais Ossip Mandelstam, c'est un autre genre de Russe, le genre juif et poète, le genre que Staline envoyait dans les camps, le genre qui ne vivait pas vieux. À Moscou, j'étais attendu sur le quai par un merveilleux jeune homme qui allait me servir de guide. De la gare, on a pris le métro. J'ai sorti mon livre de ma poche: tu connais Mandelstam?

Qui?

C'est lors de ce premier voyage en Russie, au début des années 90, que j'étais allé à Sotchi, qui ne rêvait pas des Jeux olympiques à l'époque. Je garde le souvenir d'une plage abandonnée, de cabines qui auraient eu besoin d'un coup de pinceau, de joueurs d'échecs dans le jardin de l'hôtel qui jouaient sur des tables-échiquiers. Il y avait des mandarines dans les arbres, de la vigne sur les coteaux et des buissons de thé.

Je m'étais arrêté à Sotchi après 30 heures de train en route pour Tbilissi, la capitale de la Géorgie. J'aimais les Russes d'avance à cause de la littérature, cela ne m'a pas empêché de les trouver ingénument racistes. Vous vous demandez peut-être comment on peut être ingénument raciste? C'est quand on ne se doute pas une seconde qu'on l'est. Quand on dit des monstruosités sans agressivité et sans le mépris qu'y ajoutent souvent les Chinois.

Les Noirs, bien sûr, oh là là, les Noirs! Mais surtout les métèques à leur porte, Azéris d'Azerbaïdjan qui vendent des fruits aux bouches du métro, Tchétchènes, Arméniens, Géorgiens.

Les gais? Il n'y avait pas de gais en Russie à l'époque. La Russie sortait de 80 ans de communisme et comme chacun sait, l'homosexualité est une perversion bourgeoise.

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J'aime bien que le drapeau gai flotte sur l'hôtel de ville de Montréal. M. Coderre n'est pas toujours aussi gros qu'il en l'air. Cela dit, j'ai moins aimé les manifestations qui faisaient la leçon aux Russes.

Un sondage publié aux États‑Unis le printemps dernier (Pew Research Center) révélait que 45% des Américains étaient plus ou moins homophobes. C'est le verre vide. Le verre plein, d'après Gallup: 53% des Américains (73% chez les 18-30 ans) approuvent les mariages entre conjoints de même sexe.

Bref, en Russie, l'homosexualité est une maladie. En Amérique, c'est l'homophobie, la maladie. Ça fait une différence, c'est vrai. Il reste qu'à cause du nombre de malades, l'ado gai nord-américain n'est jamais très loin de la Russie, même à Montréal, même dans la plus ouverte des écoles secondaires. Manifester contre Poutine? Il faudrait aussi manifester contre Sarah Palin, et contre tous les papes avant celui-ci.

Dans le sport? Ça dépend. Vous parlez de ces sports-là qu'on voit tous les quatre ans, le curling, le ski de fond, le patinage artistique? Tout est possible. Mais dans le vrai sport, le hockey, le baseball, le football, le basketball, le soccer, le rugby? Aucun gai. Nommez-moi un joueur de hockey en activité dans la LNH gai. Un joueur de football de la NFL? Ah! Voyez bien, y en a pas.

Ouais, je sais, Jason Collins, le centre des Wizards de Washington de la NBA qui a fait son coming out l'an dernier... Sauf qu'il ne jouait presque plus au moment de son coming out et qu'il n'avait pratiquement aucune chance de se faire offrir un nouveau contrat, gai ou pas... On l'a trouvé bien courageux sur le coup, mais on commence à se demander s'il ne s'est pas déclaré gai pour se rendre intéressant, ou pour qu'une équipe l'engage comme attraction spéciale.

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Puisque vous me le demandez, je ne regarde pratiquement pas les Jeux à la télé, ni ne les écoute à la radio. J'en saisis des bribes ici et là - Hamelin, Bilodeau, les soeurs Machin. Vous allez rire, je me contente de consulter le tableau des médailles à la fin de chaque journée avec la même appréhension que je consulte les prévisions météorologiques, redoutant le tsunami patriotique qui va nous submerger si jamais - Dieu nous en garde - le Canada devait remporter les Jeux de Sotchi. En même temps que je souhaite à tous les athlètes d'aller au bout de leur rêêêêêêêêêve, je souhaite aussi, contradictoirement, qu'à la fin cela fasse moins de médailles d'or pour le Canada que pour la Norvège et les États-Unis. Troisième, ce serait une belle petite victoire, je trouve.

Si les petites victoires rendent l'homme modérément heureux, les grandes devraient le rendre follement heureux, n'est-ce pas? Eh bien non. Les grandes le rendent complètement con. C'est comme ça.