En expulsant du caucus les 32 sénateurs nommés sous la bannière libérale, Justin Trudeau a réussi un coup fumant, au moins au plan tactique. Par ce geste sans précédent, il a projeté l'image d'un chef déterminé, capable d'innover, quitte à affronter la vieille garde du Parti libéral.

Bien sûr, il y a une bonne part d'artifice dans cette manoeuvre. Dans les faits, les sénateurs demeurent des libéraux et continueront à voter contre la plupart des projets de loi déposés par le gouvernement Harper. Le premier ministre n'a pas eu tort de se moquer: « Si j'ai bien compris ce que le chef libéral a annoncé, c'est que les sénateurs libéraux non élus sont désormais des sénateurs non élus qui se trouvent à adhérer au Parti libéral.»

Néanmoins, M. Trudeau a réussi à attirer l'attention des médias sur sa proposition de réforme de la chambre haute. «J'en suis venu à la conclusion que le Sénat doit être non partisan, composé principalement d'individus réfléchis qui représentent les valeurs variées, les perspectives et les identités de ce merveilleux pays», a expliqué le chef du PLC.

Les libéraux touchent là le coeur du problème. Le Sénat n'aurait pas perdu toute crédibilité si les premiers ministres qui se sont succédé en avaient toujours choisi les membres sur la base du mérite plutôt que sur celle des services rendus (ou à rendre) à leur formation politique. Si le Sénat n'était pas trop souvent le refuge d'organisateurs et de financiers des partis, ou encore la sinécure accordée à d'anciens députés, sa nature non élective ne choquerait pas tant.

La Cour suprême statuera bientôt sur la marge de manoeuvre dont jouit le gouvernement fédéral pour modifier le mode de sélection des sénateurs sans l'accord des provinces. Selon la plupart des constitutionnalistes, le tribunal dira que tout changement substantiel nécessite l'accord d'au moins 7 provinces représentant 50% de la population. L'abolition pure et simple de la deuxième chambre, l'idée simpliste défendue par le NPD, exigerait l'accord de toutes les provinces du pays.

La proposition libérale vise à améliorer la façon de choisir les sénateurs sans avoir à ouvrir la boîte de Pandore constitutionnelle. Le premier ministre continuerait à nommer les membres de la chambre haute, mais il le ferait suivant «un processus public, ouvert et transparent». Les libéraux songent à un comité de sages qui proposerait des noms au gouvernement, ou auquel le premier ministre devrait soumettre les candidatures envisagées.

La proposition libérale est encore embryonnaire. La création (en 2000) d'un comité de ce genre pour les nominations à la Chambre des lords n'a pas eu l'effet souhaité. Ici comme en Grande-Bretagne, quel que soit le mécanisme mis en place, c'est la volonté du premier ministre qui est déterminante. Devenu chef de gouvernement, Justin Trudeau résisterait-il à la tentation à laquelle ont succombé tous ses prédécesseurs?