L'hôtel Loews Le Concorde, à Québec, fermera ses portes le 12 février prochain. Il est possible que le groupe Savoie l'acquière et le convertisse en résidence pour personnes âgées. Le voisinage s'en émeut : il ne veut pas de vieux dans sa cour. Voilà en trois phrases la substance du nouveau psychodrame que vivent les citoyens de la Vieille capitale.

Or, ce qui n'est sur papier qu'une simple transaction immobilière en révèle beaucoup sur notre société.

Voyons cela en trois phrases aussi. Le vieillissement de la population, qui s'effectue à la vitesse grand V, fait peur au point d'être l'objet de déni. Les préjugés courants sur les personnes âgées sont fortement enracinés, apparemment indélogeables. Bien qu'il soit de plus en plus vindicatif, l'âgisme n'est pas encore reconnu comme une discrimination au même titre que le racisme ou le sexisme.

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Encore une chose : étonnamment, cette ségrégation réclamée au nom du commerce est indifférente à la réalité économique de l'affaire.

Un : la capacité hôtelière de la ville justifie la décision de fermer le Concorde. Entre 2008 et 2012, le taux d'occupation des chambres d'hôtel offertes dans la région de Québec a chuté, les pointes de juillet et août en particulier ayant dégringolé en moyenne de 92 % à 79 %. Deux : le pouvoir d'achat sera de plus en plus entre les mains des personnes âgées. À Québec, les plus de 65 ans composaient 16 % de la population en 2006; elles compteront pour 26% dans dix ans.

Mais ce n'est pas le plus important.

On s'est habitué à entendre et à lire, même de la part d'esprits qui se croient éclairés, des allusions méprisantes aux « mononc's » et aux « matantes » - aux vieux, en somme, ces êtres inférieurs. Évoquant des boîtes à la mode du quartier, des internautes ironisent : « Le Dagobert pourrait faire des soirées hommage aux Platters ». Ou : « Le Maurice va sûrement faire des 5 à 7 marchettes »! Des vieux au Concorde, « c'est ridicule », dit un tenancier de la Grande-Allée.

Il est vrai que la première réaction du maire de Québec, Régis Labeaume, a été de lancer : « S'ils veulent en faire un CHSLD, wo, là! »...

Wo, en effet.

Un très faible pourcentage des personnes âgées réside dans un centre hospitalier de soins de longue durée ou utilise un déambulateur. S'il faut divertir les vieux avec des soirées hommage, on les consacrera plutôt à The Police. Dans la vraie vie, les « mononc's et les « matantes » fréquentent le restaurant. Ne reculent pas devant la fête. Sont capables de choisir leur milieu de vie en balançant les attraits des Plaines d'Abraham d'un côté, des lieux de divertissement de l'autre.

Les préjugés et l'âgisme seraient-ils donc légitimes? Allons-y gaiement alors : à l'image de ce que font tous les jeunes, les vieux installés aux étages de l'ex-Concorde adhéreront aux tactiques du... Gray Bloc, casseront du flic et saccageront la Grande-Allée!

Ridicule, n'est-ce pas?