Devinez d'où j'arrive, drette là. Devinez où j'ai passé le temps des Fêtes. Mais non, pas au Luxembourg. C'est un peu décevant, le Luxembourg en hiver. Je n'étais pas en Floride non plus, ni dans quelque île exotique. Je vais vous le dire là, c'est trop difficile comme devinette: j'étais sur le toit.

Parfaitement. Sur le toit de l'appentis à la grosse pluie battante. J'y cassais la glace avec la binette, la même binette qui me sert l'été à désherber les allées du jardin, cette binette-là, paf dans la glace du toit de l'appentis, paf, paf, et repaf jusqu'à ce que se détachent d'énormes plaques que j'allais jeter en bas du toit.

Vous savez, les esclaves dans les films de Romains qui portent d'énormes pierres dans leurs bras pour faire les chemins, j'avais l'air de ça sur le toit avec mes plaques de glace. C'est ma fiancée qui me l'a dit: t'as l'air d'un esclave dans un film de Romains.

Regarde mieux, mon amour, et tu vas voir que j'ai plutôt l'air d'un con qui s'est trompé de pays.

Ai-je dit que c'est un toit grand comme la moitié d'un terrain de basketball et qu'il pleuvait à boire debout?

Tout ça a commencé par la fille de la météo à la radio qui nous a annoncé «une belle petite neige», il y a de cela deux ou trois semaines.

Au lieu de la belle petite neige annoncée - cout'donc, sont toutes jovialistes dans ce métier-là? - au lieu d'une belle petite neige, ici on a eu une sale petite pluie qui s'est tout de suite transformée en glace sur le toit de l'appentis, mais pas seulement: sur les arbres aussi, chaque branche, branchette, rameau, ramille pris dans une gaine de glace, la tête du genévrier au coin du garage a cassé la première, même les robustes vinaigriers ont craqué, et les têtes des bouleaux se sont penchées jusqu'à terre en révérences toutes cliquetantes de la verroterie de leurs milliards de petits glaçons.

Ben oui, c'est beau. Sauf que les grands pins, eux, au contraire des grands bouleaux ne penchent pas, les grands cèdres non plus. Ils cassent. Ils font crac en s'abattant sur les fils électriques: plus d'électricité. Et même plus de téléphone. Plus d'eau. Plus de chauffage. Le message de l'Hydro disait que le courant reviendrait vers 23h. À 23h, le message précisait: dimanche. On était samedi. Le courant est revenu, puis reparti pour 24 heures encore. Les gars de l'Hydro avec leurs longues perches sont arrivés pour désengager les «breakers» en haut des poteaux. Ça va être long, monsieur?

Disons à midi?

On l'a eu à 6h. Il faisait moins 22.

Dimanche, on est allés dans le bois porter des pommes à notre couple de porcs-épics. On a eu l'impression d'un ouragan. Pins amputés de leurs bras, cèdres couchés, faux-trembles étêtés. Et même des érables. Un massacre.

Une belle petite neige, avait dit la dame de la météo.

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Devinez d'où j'arrive, drette là? Ah non, j'étais pas sur le toit. C'est fini, sur le toit. Depuis, je me suis fait un café, j'ai commencé cette chronique, et... et je suis ressorti. Drette là, j'arrive du garage qui n'abrite pas mon auto mais mon bois de chauffage. Devant les portes du garage, il y a de l'eau, un lac. Forcément, il pleut à boire debout et comme il y a de la glace dessous, l'eau reste là. Et comme il va geler à la fin de l'après-midi, si je n'écope pas l'eau avant qu'il gèle, je ne pourrai plus ouvrir les portes du garage avant la mi-avril. Si l'électricité vient à manquer - peut-être même avant la fin de cette chronique -, je ne pourrai pas aller chercher du bois pour le poêle. Non seulement je vais me geler, mais les tuyaux de l'évier aussi vont geler.

Écope l'eau devant le garage avec une casserole. Verse dans le seau. Quand le seau est plein, va le vider de l'autre côté du chemin: 20 seaux, 30, 2350?

Tiens, qu'est-ce que je vous disais, l'électricité vient de manquer. Devinez ce que j'ai dit en en allumant la bougie. J'ai dit pays de cul.

Tiens, l'électricité vient de revenir. Pays de cul pareil.

TRALALA MORTICOLE - Les revues de 2013 n'ont pas jugé bon de revenir sur cet événement qui, moi, «a fait» mon année. L'histoire la plus tordue de l'année, celle de ce type qui s'étant fait passer pour un traducteur du langage des sourds, s'est retrouvé sur la scène où l'on rendait hommage à Mandela, à deux pas d'Obama et, pendant cinq heures, s'est livré à des gesticulations insensées. J'eusse trouvé la chose plus suave encore si, au lieu d'un halluciné, on avait eu affaire à un plaisantin, mais ça reste un sacré pied de nez pareil, non?

D'abord un pied de nez à la sécurité. Imagine! Imagine les savants et rigoureux dispositifs mis en place dans les jours qui ont précédé la cérémonie, imagine les effectifs, le nombre de flics en civil dans la foule, sur les toits avec des fusils à lunettes, la tête penchée sur le côté pour parler au micro fiché dans le col de leur veston, tous reliés à une centrale au sous-sol du stade, imagine combien ça a coûté, 20 millions? 50?

Et voilà l'autre petit comique qui se pointe sur l'estrade. Tadam, tadam, salut, Barack...

Un pied de nez aussi à - comment dire? - à tout le tralala morticole qui durait depuis plus d'une semaine, ces hommages, ces prosternations... Comme si l'autre avait voulu traduire le dérisoire de tout cela.

Mais paraît que les sourds ne l'ont pas trouvé drôle. Ah bon. En plus d'être sourds, ils n'entendent pas à rire?