Quelque part vers la fin de novembre 2006, le député conservateur Michael Chong était en train de casser la croûte avec des journalistes de la tribune parlementaire lorsque l'un d'eux, après avoir consulté son BlackBerry, lui a appris que le premier ministre Stephen Harper s'apprêtait à déposer aux Communes une résolution reconnaissant la nation québécoise.

La petite histoire veut que M. Chong ait eu du mal à avaler le reste de son repas et... la nouvelle. Faut le comprendre: à l'époque, il était, après tout, ministre des Affaires intergouvernementales et il pouvait légitimement être offusqué du fait que son chef ne lui avait même pas parlé de ce projet audacieux qui avait fait grand bruit!

Dans les jours qui ont suivi, le ministre Chong a démissionné, redevenant «simple» député. Il avait alors expliqué qu'il était contre la reconnaissance de la nation québécoise, mais plusieurs pensent que l'affront fait par le premier ministre l'avait incité, au moins autant que ses principes, à claquer la porte.

Député d'arrière-ban très discret depuis sa rétrogradation, revoici Michael Chong dans l'actualité cette semaine, lui qui vient de déposer un projet de loi «privé» visant (tiens, tiens) à limiter les pouvoirs du premier ministre.

De là à penser qu'il veut se venger, que c'est la revanche du backbencher, il n'y a qu'un pas que certains seraient sans doute tentés de faire, même si le principal intéressé affirme ne pas viser directement l'autorité de Stephen Harper.

N'empêche, il s'agit d'un signe de plus du malaise de plus en plus palpable au sein du caucus conservateur par rapport au style autoritaire du premier ministre Harper. Le même malaise ressenti aussi à Calgary, le mois dernier, parmi les militants réunis en congrès.

M. Harper, qui s'est fait élire, notamment, en promettant de mettre fin à la mainmise du «centre» [c'est ainsi qu'on appelle, péjorativement, le bureau du premier ministre (BPM) à Ottawa] et en redonnant la liberté de parole et d'action aux députés, a érigé un mur entre lui et son caucus.

Maintenant qu'il est coincé dans son propre bunker par les sales affaires du Sénat, Stephen Harper trouve bien peu de sympathie au sein même de son parti.

On a entendu, à Calgary, des militants, dont certains plus influents que d'autres, critiquer ouvertement son leadership et sa gestion de la crise du Sénat; on a vu des poids lourds de son cabinet le contredire publiquement, notamment sur le rôle et la responsabilité de l'ex-chef de cabinet Nigel Wright; on sent aussi au Parti conservateur que le chef n'est plus infaillible.

Les motivations du député Chong dépassent peut-être la simple vendetta, mais disons que le moment choisi et le but de son projet de loi (qui a très peu de chances d'être adopté, cela dit) ne font qu'ajouter au climat de méfiance, et de défiance, envers M. Harper.

En gros, Michael Chong voudrait que le caucus d'un parti puisse, si 15% de ses membres en font la demande, tenir un vote de confiance (par vote secret) sur le chef ou sur un collègue député. Si la majorité (50% " 1) vote contre, le chef ou le député est démis et une course à la direction se met en branle. M. Chong voudrait en outre empêcher le chef d'imposer ses candidats dans les circonscriptions.

Idées originales et populistes, mais inutiles et même un peu futiles, parce que ces choses regardent les partis politiques, pas le gouvernement. Pas besoin d'une loi pour encadrer une mutinerie dans un caucus, parlez-en à John Turner, à Stockwell Day, à Michel Gauthier ou, à Québec, à tous les chefs péquistes depuis René Lévesque!

C'est aux militants d'un parti de choisir leur chef... ou de l'éjecter s'il ne fait plus l'affaire. Paradoxalement, M. Chong veut limiter l'omnipotence du BPM en isolant encore plus la base militante. Si les conservateurs sont déçus ou en rogne contre M. Harper, ils auraient très bien pu s'exprimer à leur congrès plutôt que de boire docilement le Kool-Aid servi par les bonzes du parti. Aucun chef de parti ne peut résister à une fronde militante, et un vote de confiance est bien plus efficace qu'une hypothétique loi pour mettre un leader désavoué à la porte.

Par ailleurs, la possibilité pour les députés d'éjecter l'un des leurs risquerait de transformer les caucus en une sorte de Survivor ou d'Occupation double où on vote, selon les humeurs, pour exclure un fâcheux. Si le sort d'un chef est entre les mains des militants, le sort des députés est entre les mains des électeurs.

Quant à la mesure empêchant un chef d'intervenir dans la sélection des candidats, là encore, ce sont des affaires internes des partis.

Il est vrai que sous Stephen Harper, le rôle des députés a encore rétréci, mais on sent poindre un début de révolte. Au lieu de faire voter des lois, les élus devraient se rebiffer et cesser de jouer les carpettes par opportunisme ou par pleutrerie.

Un exemple parmi d'autres: à Calgary, justement, le ministre Maxime Bernier sort de la «ligne de parti» et annonce qu'il veut un référendum national sur l'abolition du Sénat. Il demande plus tard à son collègue Steven Blaney ce qu'il pense de son idée. Celui-ci lui répond alors: «Ah, toi, tu m'as mis dans le trouble! Les journalistes m'attendaient ce matin pour me demander mon opinion, mais je n'avais pas encore eu mes lignes! [déclarations préparées par le BPM]»

L'initiative du député Chong part peut-être d'une bonne intention, mais aucune loi n'empêchera jamais un élu de se comporter en carpette...