Alors que la menace terroriste diminue depuis plusieurs années en Europe, le «tireur de Paris» qui a sévi au quotidien Libération, il y a six jours, est une énigme à bien des points de vue. Ce qu'il offre à voir est à la fois une image surgie du passé et un aperçu des rouages mentaux du radicalisme, de quelque nature qu'il soit.

Abdelhakim Dekhar a été appréhendé 48 heures après les faits alors qu'apparemment, il tentait de se suicider par absorption de médicaments. Il est soupçonné d'avoir tiré sur un aide-photographe de Libération, d'avoir proféré des menaces dans les locaux d'une chaîne de télé et d'avoir déchargé une arme à feu dans le quartier de la Défense. La preuve que la police possède contre lui est accablante, reposant entre autres sur l'identification par ADN.

Mais le plus intéressant est le passé de l'homme en semblable matière.

En octobre 1994, il avait joué un rôle dans une spectaculaire tuerie, place de la Nation, qui avait laissé trois policiers et un chauffeur de taxi sur le carreau. Dekhar fréquentait alors les milieux de l'extrême gauche parisienne, en particulier Audry Maupin, étudiant en philosophie, et Florence Rey, étudiante en lettres, qui avaient décidé de passer à la lutte armée contre le «système». (Maupin périra dans la fusillade d'octobre, Rey sera condamnée à 20 ans de détention, Dekhar à 4 ans.)

Ce dernier n'a jamais renoncé à ses idées radicales. Après l'avoir arrêté relativement à l'assaut contre Libération, la police a retrouvé des écrits dans lesquels il évoque un «complot fasciste», fustige le «capitalisme», éreinte les médias coupables de «manipulation des masses».

Ceci expliquant cela.

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On reconnaît le vocabulaire. C'est celui du radicalisme d'extrême gauche élaboré dans les années 60 et qui motivera nombre d'attentats perpétrés au cours des décennies suivantes. La France était alors à l'avant-garde, si on peut dire, dans la construction de ce système de pensée et dans sa mise en pratique par l'explosif et l'arme à feu. Et elle demeure la championne européenne des actes de terreur: 85 sur 174 en 2011 (Europol, 2012).

C'est dans ce contexte qu'Abdelhakim Dekhar, né en 1965 en France d'une famille d'origine algérienne, a grandi.

Par définition, toutes les formes de radicalisme (religieux, nationaliste, de gauche, de droite) portent en elles la tentation de la violence. Et ce, pour deux raisons. D'abord, celui qui possède la Vérité, celle dont il sait qu'elle fera le bonheur de l'humanité (ou d'un dieu, ou du prolétariat, ou d'une nation), ne verra pas pourquoi cette vérité ne serait pas imposée par la force. Ensuite, il existe une telle chose que le radicalisme-spectacle, d'autant plus gratifiant pour celui qui s'y adonne qu'il va au bout de sa logique: la violence. Et s'attaquer aux médias en est l'accomplissement parfait.

Présumément, c'est ce chemin qu'Abdelhakim Dekhar a emprunté.