C'est long, un vol de quatre heures trente. Ça donne le temps, par contre, de lire tous les cahiers de résolutions d'un congrès, ce que j'ai fait, méticuleusement, mercredi soir en prévision du grand rassemblement conservateur de la fin de semaine à Calgary.

Curieusement, ce n'est pas tant ce que j'ai lu qui m'a le plus étonné, mais plutôt ce qui ne se trouve pas dans ces cahiers définissant l'ordre du jour du congrès.

Sur les 100 pages bien tassées de résolutions, pas une seule fois n'apparaît le mot «Sénat». Il est vrai que ces résolutions ont été colligées au printemps dernier en prévision du congrès qui devait originellement avoir lieu fin juin (reporté pour cause d'inondation), mais il s'est passé beaucoup de choses depuis à la Chambre haute et il est cocasse de ne point en trouver la moindre trace.

Le Sénat, c'est l'éléphant dans la chambre à coucher du Parti conservateur. Il est là, énorme, dérangeant, grotesque aussi, souvent, mais personne n'en parle. Du moins, pas officiellement, parce qu'en coulisse, tous les militants et députés ne parlent que de ça.

La grande question qui obsède les conservateurs est de savoir quel impact auront ces histoires sénatoriales sur l'humeur de l'électorat et combien de temps il durera.

Le lieutenant de Stephen Harper en Alberta, Jason Kenney, a bien vite tenté de balayer cette embarrassante affaire d'un revers de main, mercredi, en affirmant que la presse parlementaire est «obsédée par ces histoires, mais que la vie démocratique est beaucoup plus vaste et qu'il ne faut pas perdre les raisons pour lesquelles on s'engage en politique».

Sa collègue Michelle Rempel, députée de Calgary et elle aussi ministre, a pour sa part reconnu que le sujet serait omniprésent dans l'esprit des délégués et planerait certainement au-dessus du congrès. «Mais je pense que les délégués appuieront massivement la volonté de Stephen Harper de punir les sénateurs fautifs et, à la fin, c'est de la réforme du Sénat qu'ils voudront discuter.»

Peut-être, en effet, que certains saisiront cette crise politique pour relancer le débat sur la réforme, voire l'abolition de la Chambre haute, mais cela ne fera que rappeler que malgré ses promesses répétées, Stephen Harper n'a pas réussi à entreprendre les changements tant attendus au Sénat.

Non seulement la réforme n'est-elle pas venue, mais le chef conservateur a lui-même contribué à détériorer encore davantage l'image déjà ternie de cette institution en nommant des personnages controversés, des organisateurs conservateurs, des attachés politiques et des candidats défaits aux élections, en utilisant certains sénateurs à des fins partisanes, en fermant les yeux sur des pratiques douteuses. Son rôle, par ailleurs, dans l'affaire Duffy-Wright reste à ce jour mystérieux et sa défense, peu convaincante.

Sa gestion de la crise, en outre, a été lamentable, ses explications évoluant de jour en jour, sans qu'il soit capable de remettre le couvercle sur la marmite. M. Harper voulait taper sur les doigts des trois sénateurs visés, question de démontrer qu'il ne rigole pas avec l'intégrité. Raté. En plus, et c'est peut-être ça le plus grave, le premier ministre n'a rien proposé pour mettre de l'ordre dans la maison. Il n'a pas de plan B.

Il est plutôt ironique que ces histoires de Sénat rattrapent Stephen Harper à Calgary, dans son fief, qui est aussi le berceau de la révolte contre les «planqués» de la Chambre haute. C'est aussi à Calgary que sont nés les projets de réforme du Sénat, notamment le fameux «Triple E» (élu, égal, efficace), entre autres pour contrer la domination de l'est du pays à la Chambre des communes.

Preston Manning, lui, n'a pas oublié les combats de l'Ouest pour une réforme du Sénat. «S'il est vrai que la domination des libéraux de Trudeau dans l'Est a provoqué l'aliénation de l'Ouest dans les années 80, on peut aussi dire que la domination, aujourd'hui, de l'Ouest par les conservateurs de Harper provoque les mêmes sentiments dans l'Est», a-t-il avancé, hier matin, lors d'un forum sur le Sénat organisé à la Manning Foundation, le tout nouveau centre de réflexion et de formation de la droite au Canada, basée à Calgary.

Souriant, détendu, teint de vacancier, chemise saumon, veston bleu à carreaux, coupe à la Paul McCartney, Preston Manning recevait fièrement dans les locaux de sa fondation, un vieil édifice rénové à la fine pointe de la technologie grâce à des dons privés. Si le Sénat est un sujet tabou au congrès du PCC, ici, on en parlait abondamment.

«C'est ironique de constater que le style de Stephen Harper est devenu l'illustration du besoin de réformer le Sénat», a lancé Roger Gibbins, ancien dirigeant de la Canada West Foundation.

L'ancien conseiller du premier ministre, Tom Flanagan, a été encore plus cinglant: «Le Sénat est devenu, depuis longtemps et encore maintenant, un repaire pour les amis et conseillers du parti au pouvoir, un haut lieu de copinage.»

Cela, il serait étonnant que les délégués en discutent. La cible privilégiée de ce congrès, ce n'est pas le Sénat, mais les syndicats, contre lesquels le congrès conservateur lancera une attaque tous azimuts.

Financement, transparence, vote secret, activités politiques, adhésion et cotisations automatiques, en tout, une dizaine de résolutions visent les syndicats.

On parlera aussi de souveraineté dans l'Arctique, de lutte contre la criminalité, de baisses d'impôts et de taxes, et beaucoup aussi d'armes à feu.

On lit, notamment, ceci: «Le gouvernement conservateur reconnaît la légitimité de la propriété privée d'armes à feu et résistera à toute pression contraire, nationale ou internationale.»

Dans le programme du PCC, on indiquait: «Tenue vestimentaire western de mise.» Pas que la tenue, on dirait...