J'ai écrit l'autre jour que la campagne municipale montréalaise était une campagne tarte aux pommes, en se sens que les candidats se sont lancés dans une surenchère d'idées nobles et de promesses politiquement correctes.

Cette dynamique a une conséquence encore plus troublante: les quatre principaux candidats évitent aussi de parler de ce qui est désagréable. Une métaphore anglaise, «un éléphant dans la pièce», décrit un problème qui saute aux yeux mais dont on feint d'ignorer l'existence. Dans cette élection, c'est plutôt un troupeau de pachydermes qui s'entasse dans le même espace exigu.

On en a eu une illustration gênante cette semaine quand c'est Régis Labeaume, le maire de Québec, plutôt qu'un candidat montréalais, qui a abordé la question des déficits des régimes de retraite. Voilà notre premier éléphant.

Le problème des déficits des régimes de retraite municipaux est si grave que le gouvernement du Québec a commandé un rapport sur la question. M. Labeaume s'y est attaqué dans sa ville. Montréal n'y échappera pas. Ses régimes lui coûteront 584 millions cette année, soit 11,6% de son budget. Ces paiements devront passer à 860 millions à cause de l'explosion du déficit actuariel. Qui va payer? Les employés? Les contribuables? Ce coup de barre nécessaire, on n'en parle pas.

Notre deuxième éléphant, ce sont les conditions de travail des employés de la Ville. Un autre sujet tabou. Selon les données de l'Institut de la statistique du Québec, la rémunération des employés municipaux dépassait de 33,6% celle des employés provinciaux en 2012, de 39,9% celle du secteur privé. Montréal consacre 2,4 milliards à la rémunération cette année, soit 50,2% de son budget. 

Si les employés de la Ville étaient payés comme ceux de l'État québécois, une idée qui n'a rien de monstrueux, cela représenterait une économie de 822 millions par année, une marge de manoeuvre colossale.

À moins, bien sur, que ces employés méritent cette prime substantielle.

Est-ce le cas? C'est notre troisième éléphant. Je n'ai pas de chiffres sur la performance. Mais rien ne me permet de croire que nous sommes en présence d'une administration exemplaire. Ni au niveau de la direction, ni avec ses cols bleus, ni dans la machine administrative. 

C'est anecdotique, mais j'ai vécu trop d'expériences et entendu trop d'histoires sur des réparations de voirie surréalistes, ou des abus bureaucratiques dans l'octroi de permis, pour croire que Montréal soit une ville bien gérée aux employés performants. J'ai plutôt la perception d'une administration médiocre et dysfonctionnelle. Marcel Côté est le seul à en avoir parlé.

En creusant, on trouvera un quatrième éléphant. Les candidats, quand ils parlent d'intégrité, pensent aux politiciens. Mais ce qu'on a découvert à la commission Charbonneau, c'est que la pourriture avait sa vie propre dans l'administration elle-même, à tous les niveaux. L'administration municipale aura donc certainement besoin d'une désinfection massive, dont personne ne parle.

Il y a un dernier pachyderme, sur lequel on n'insiste pas, pour éviter des débats de structures. La création des arrondissements, avec le pouvoir qu'on leur a donné, engendre des duplications, des incohérences, la formation de fiefs. Cette courtepointe administrative comporte des coûts et freine la capacité d'agir de l'administration municipale.

Ces cinq problèmes concrets, on n'en parle presque pas. Et pourtant, il ne sera pas possible de relancer Montréal sans s'y attaquer.