Alice Munro est une vieille dame de 82 ans très belle et très digne. Elle a beaucoup écrit, mais peu parlé, fuyant les projecteurs, menant une vie simple dans une petite ville de l'Ontario, satisfaite de la vie malgré le deuil et la maladie. Son plus récent ouvrage offert en traduction s'intitule Trop de bonheur. Son dernier, en partie autobiographique: Dear Life (non encore traduit). Le dernier dans le plein sens du terme, d'ailleurs: en juillet 2012, elle a annoncé qu'elle accrochait sa plume.

Est-ce que le fait d'avoir remporté le prix Nobel de littérature pourrait modifier ses intentions?

Hier, elle n'a que brièvement commenté cet ultime hommage, elle qui a été publiée dans les prestigieux New Yorker et Atlantic Monthly, qui a été adaptée à l'écran, qui est déjà ensevelie sous les prix (entre autres: celui du Gouverneur général du Canada à trois reprises et le très prestigieux Booker Prize). Mais le Nobel de littérature, une première pour le Canada, c'est évidemment autre chose...

Munro est depuis longtemps un grand nom de la littérature dans le monde anglo-saxon et s'est constitué un lectorat fidèle en France.

Au Québec, elle n'est pas très connue, probablement pas très lue. Pourtant, la quasi-totalité de son oeuvre, plus d'une douzaine de recueils de nouvelles et un roman, a été traduite. Et fort bellement, juge-t-on en général.

Alors pourquoi?

D'abord, il s'agit de nouvelles, un genre que plusieurs, ici, considèrent mineur. Puis il y a les deux solitudes, bien sûr, ce qui ne change pas. En outre, le Canada anglais n'a pas de culture, avons-nous décidé une fois pour toutes: ça nous fait un petit velours bon marché. Mais il y a peut-être autre chose encore, qui tient à la manière Munro dans ses écrits comme dans sa vie.

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À certains points de vue, Alice Munro est une sorte d'image en négatif de la flamboyante Margaret Atwood.

Munro est discrète, on l'a dit. Vit presque en réclusion. N'a jamais été abonnée aux cinq à sept littéraires. Travaille comme une artisane, méthodiquement, dans le silence. Refuse les tournées de promotion. Surtout, elle a une conception de son métier tout aussi empreinte de modestie: elle ne fait ni dans la thèse sociale, ni dans la philosophie, ni dans l'envolée militante. «Je n'ai aucun autre talent (que l'écriture), je ne suis pas intellectuelle et je me débrouille mal comme maîtresse de maison!», a-t-elle dit un jour.

Ce en quoi Alice Munro excelle, c'est de «plonger au coeur de l'être humain», résume la BBC. Elle construit des histoires de petites gens, surtout des femmes, vivant dans les milieux ruraux qu'elle connaît bien, affrontant des dilemmes moraux à la fois déchirants et ordinaires, cherchant à faire la paix avec leur existence.

On l'a comparée à Anton Tchekhov, à cause de la ruralité et de l'humanisme. On comparera sans doute un jour un jeune écrivain à Alice Munro.