La mécanique complexe de la gouvernance politique américaine apparaît souvent mystérieuse aux yeux de l'étranger. Mais aucune des singularités du système n'est aussi énigmatique que la fermeture partielle de l'administration fédérale dont les Américains sont victimes depuis mardi. C'est la tempête politique parfaite, née autour de l'adoption du budget.

En réalité, il s'agit d'un coup de force des républicains déterminés à saccager la réforme des soins de santé, dite «Obamacare», dont les dispositions majeures entraient en vigueur ce même mardi et qu'ils n'ont jamais digérée.

Où cela conduit-il?

D'abord, le «shutdown» met au chômage technique quelque 800 000 fonctionnaires de l'État ainsi privés de revenus. Ensuite, le blocage heurte l'économie du pays à hauteur de plus ou moins 8 milliards$US par semaine, a-t-on calculé. Enfin, si Washington se retrouvait bientôt dans un second cul-de-sac lorsque le plafond de la dette devra être relevé, c'est la crédibilité du pays qui serait doublement entachée. Encore là, l'enjeu réel est celui de la réforme des soins de santé.

Puéril et irresponsable: ce sont les mots qui viennent à l'esprit.

L'administration américaine s'est déjà trouvée à plusieurs reprises dans cette situation. La dernière fois, c'était en 1995-1996 sous Bill Clinton. Et la révolte de palais tournait alors autour du... programme Medicare couvrant les frais médicaux des personnes âgées! Depuis, Medicare est passé dans les moeurs et plus personne ne songerait à l'abolir.

Cependant, cette fois-ci, on sent bien que le fossé est plus large, que l'atmosphère est empoisonnée.

On constate une intention délibérée de «blesser le président», écrit le New York Times. Dans les commentaires émis par certains élus républicains, on entend l'écho des pires dérives du Tea Party, dont des membres se présentaient armés aux assemblées populaires sur le projet de réforme. On subodore une hargne proche de la haine à l'endroit de Barack Obama. On sent que lui est administré un traitement d'exception - rappelons l'occasion où un représentant républicain lui avait crié «Menteur!» en pleine adresse au Congrès, du jamais vu.

De sorte qu'on ne peut s'empêcher de se demander: qu'est-ce que ce président peut bien avoir de particulier, d'unique, de jamais vu, qui le distingue de ses prédécesseurs? Quoi donc?

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Que l'écheveau soit dénoué au moment où vous lisez ces lignes ou qu'il ne le soit que dans un mois, c'est le Parti républicain qui va en souffrir... exactement comme, en 1995-1996, l'impasse avait mené à la réélection de Bill Clinton. À terme, l'électorat sait voir, en effet. Or, la présente affaire met surtout en évidence la décrépitude intellectuelle du Grand Old Party, son manque de flair politique, son incapacité à se donner des leaders d'envergure, son esprit partisan exacerbé.

C'est, en somme, de l'automutilation.