Ils ont d'abord séparé les croyants des infidèles. Puis, faisant de ces derniers des otages destinés à mourir, ils les auraient torturés - y compris les enfants - en leur arrachant les yeux, le nez, les doigts, les organes génitaux... Plusieurs jours après la tragédie du centre commercial Westgate de Nairobi, les récits d'horreur commencent à émerger dans plusieurs médias, dont le Star kényan, les britanniques The Independant et Daily Mail, l'américain USAToday ainsi que la chaîne saoudienne Al-Arabiya.

Et si on a la force de regarder au-delà de ces abominations, on dégagera de l'offensive des Shebab somaliens une sombre perspective.

«La vérité qui dérange, prévient The Economist, c'est que depuis les 18 derniers mois, malgré leurs infortunes et leurs échecs, al-Qaïda et ses alliés djihadistes effectuent un retour spectaculaire». Après un sanglant attentat en Algérie, nous-mêmes remarquions il y a huit mois que l'islamisme a progressé par la politique ou la violence en Tunisie, en Égypte, en Turquie, au Yémen, en Somalie, au Soudan, au Niger, au Nigeria, en Libye, au Mali... une liste à laquelle il faut maintenant ajouter le Kenya et la Syrie. Sans doute aussi l'Afghanistan, que les talibans reconquièrent petit à petit en attendant le grand soir où les militaires occidentaux plieront bagages.

Après l'exécution d'Oussama ben Laden, l'élimination de plusieurs cadres d'al-Qaïda et les propos lénifiants du président Barack Obama, il semblait permis de croire que la guerre globale à la terreur déclenchée après le massacre du 11 septembre 2001 était terminée. Qu'elle pourrait désormais céder la place à des opérations de police modestes et ciblées. Or, depuis huit jours et en ne recensant que les attentats majeurs, ceux-ci ont semé plus ou moins 550 cadavres au Pakistan, au Nigeria, au Kenya, en Irak.

Fin de l'illusion.

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Soyons francs, la chose nous indiffère passablement: ceux qui meurent sont des Africains, ou des Asiatiques, ou des musulmans vivant loin de nous.

Après l'indifférence, il y a aussi l'incompréhension, notamment de la formidable puissance de l'«idée» islamiste. En témoigne le recrutement croissant de djihadistes en Occident, à la fois chez les ressortissants étrangers venus y vivre et chez les convertis. (Entre autres, Samantha Lewthwaite, une Britannique «de souche» et veuve d'un autre converti qui s'est fait exploser à Londres, aurait pris part à l'opération de Nairobi.) 

Enfin, il y a l'impuissance. Que faire, en effet? Qu'est-ce qui n'a pas été essayé dans cette guerre asymétrique où le potentiel militaire classique ne sert visiblement à rien et où une seule des deux parties est sommée d'être rigoureusement morale? Surtout, surtout: comment combat-on une «idée», en particulier lorsque cautionnée par un dieu, aussi irrationnelle, immorale et assassine soit-elle?

Ça, l'Homo sapiens n'a pas encore trouvé.