Au Québec, avec le scandale de la corruption dans la construction, il est difficile d'entendre ou de lire le mot ristourne sans que cela éveille les pires soupçons. Heureusement, il y a ristourne et ristourne.

Dans un intéressant article de ma collègue Ariane Lacoursière publié lundi, La Presse décrivait la pratique selon laquelle les hôpitaux québécois exigent une ristourne de 1% à 4% aux fournisseurs de matériel médical désireux de décrocher un contrat. Dans ce cas, l'argent ne va pas dans les poches d'un fonctionnaire, d'un élu ou d'un mafieux de passage. L'argent retourne à l'hôpital.

On devrait applaudir. Ces ristournes sur la valeur d'un contrat, ça équivaut à une baisse de la facture. Si les hôpitaux recourent à une pratique généralisée, qui consiste à utiliser leur poids et leur rapport de force pour réduire le coût de leurs fournitures, c'est de la saine gestion de fonds publics, une façon de dégager des fonds pour mieux servir les patients.

Alors, pourquoi s'indigner, comme l'a fait la critique de la CAQ en matière de santé, Mme Hélène Danault, pour qui ces ristournes sont «illégales» ? Illégales par rapport à quoi? Au droit criminel? Aux grands principes éthiques qui régissent nos démocraties? À la charte des valeurs québécoises?

Pas vraiment. Ce serait plutôt illégal par rapport aux règles de fonctionnement qui régissent les établissements de santé. Cette pratique n'est pas prévue et s'écarte des normes édictées par Québec. Ce n'est pas écrit dans le petit livre. Parlons donc d'un crime de lèse-bureaucratie.

Encore là, j'y vois plutôt matière à réjouissance. Les hôpitaux sont coincés financièrement, le gros de leurs dépenses est incompressible, la demande accrue de soins exerce une très forte pression. Et surtout, ils sont prisonniers d'un carcan, un mode de financement archaïque basé sur les pratiques historiques plutôt que sur leurs besoins, ce qui ne soutient pas le développement.

C'est une bonne chose que les institutions fassent preuve d'initiative. Pour cela, il faut trouver un juste équilibre entre le respect mécanique des normes et la créativité dans la gestion. Si les hôpitaux, ou les universités, respectaient à la lettre tout ce qu'exige la machine à normes qu'est le gouvernement, ils ne seraient probablement pas gérables.

La pratique soulève néanmoins deux autres motifs d'inquiétude. D'abord, ces ristournes «nuisent à la saine concurrence», en favorisant les gros fournisseurs au détriment des petits, comme le dit Mme Danault. C'est possible. Mais à quoi doit servir notre système de santé? Aider les PME, ou fournir des soins?

Cela peut aussi soulever un problème de gouvernance, parce qu'avec les ristournes, l'argent économisé peut revenir dans les coffres de l'institution de façon détournée et ainsi échapper aux contrôles. Encore plus si les sommes sont reversées aux fondations des hôpitaux et sortent ainsi carrément du périmètre financier.

Rappelons quand même que les fondations des hôpitaux ne sont pas des clubs privés. Les fonds qu'elles recueillent permettent aux hôpitaux de faire plus, souvent pour ce que le financement public n'assure pas, des choses aussi suspectes que l'enseignement, la recherche, l'achat d'équipement de pointe.

On a l'indignation facile, quand il s'agit de politiques ou d'initiatives du monde de la santé. Le plus souvent, c'est parce qu'on a oublié de poser la question la plus importante: est-ce bon pour les patients?