À une époque pas si lointaine, le Bloc québécois était devenu un phare dans la quête incessante du mouvement souverainiste auprès des néo-Québécois, mais on dirait bien que la lumière vient de s'éteindre avec l'expulsion de Maria Mourani du caucus bloquiste.

Il y avait eu d'abord, en 1993, l'élection d'Osvaldo Nunez, dans Bourassa, devant un certain Denis Coderre. Le député d'origine chilienne représentait une rare prise des souverainistes et son arrivée aux Communes n'était pas passée inaperçue.

Une décennie plus tard, l'élection de Maka Kotto, en 2004, puis celle de Maria Mourani, en 2006, sous la bannière du Bloc avaient créé une certaine onde de choc chez les fédéralistes québécois, notamment les libéraux, qui craignaient une percée, timide certes, mais durable du mouvement souverainiste auprès d'un électorat à ce jour très hostile.

Les souverainistes, de leur côté, parlaient fièrement d'une avancée historique. Les célébrations auront été de courte durée. Après de modestes gains auprès de certaines communautés culturelles, le débat entourant la Charte des «valeurs québécoises» risque de ramener les souverainistes à la case départ. Quant à l'indépendance du Bloc québécois, longtemps surnommé la «succursale du PQ» par ses détracteurs à Ottawa, elle vient de voler en éclats.



Sous la poigne de fer de Lucien Bouchard et sous la direction sans partage de Gilles Duceppe, à une époque où le Bloc comptait plus de 50 députés, ce parti avait une existence propre, mais depuis la débâcle de 2011, il a des airs de lointain poste avancé, survivant tant bien que mal en attendant les ordres des généraux, à Québec.

La précipitation de Daniel Paillé à se débarrasser de Maria Mourani, avant même d'avoir élaboré des explications et des «lignes de presse» cohérentes, cache peut-être autre chose.

Dans les rangs bloquistes, Mme Mourani est perçue depuis toujours comme une forte tête, une «grande gueule», difficile à contrôler et assez peu intimidée par la ligne de parti. Bref, une «emmerdeuse de première», comme m'a déjà dit un ancien conseiller de Gilles Duceppe, il y a de ça déjà plusieurs années.

J'ai moi-même eu au moins un accrochage avec Mme Mourani (qui est ma députée, au demeurant) à propos d'une lettre envoyée dans les foyers d'Ahuntsic. Rien de bien grave, de mémoire, mais j'avais constaté que la dame a tout un caractère!

Pendant la course à la direction du Bloc, l'an dernier, Maria Mourani et Daniel Paillé, tous deux candidats, n'avaient pas, de toute évidence, beaucoup d'atomes crochus.

Mais les partis politiques n'ont-ils pas besoin, justement, d'empêcheurs de tourner en rond, d'objecteurs de conscience, de personnalités fortes, ou préfèrent-ils une armée de petits soldats défendant servilement la ligne de parti, au mépris, parfois, de leurs propres convictions? Et le mouvement souverainiste n'a-t-il pas besoin de représentants des communautés culturelles, de femmes, ce qui est encore plus rare, surtout si elles cumulent notoriété, expérience et réseaux?

Maria Mourani était peut-être «difficile à gérer», comme disent les chefs de cabinet à propos des moutons noirs des caucus, mais elle était, jusqu'à jeudi, la seule et dernière députée du Bloc, la seule à Montréal, une très rare élue souverainiste immigrante et le visage le plus connu du Bloc parmi la population, la seule à avoir ce qu'on appelle un «profil média».

En outre, Mme Mourani est la seule souverainiste à avoir fait des gains tangibles et à avoir établi un réseau et des liens avec des communautés généralement acquises aux libéraux, notamment les Libanais et les Arméniens du centre-nord de Montréal. Elle était régulièrement reçue ou vue en compagnie du consul du Liban et elle a même été reçue en grande pompe par le gouvernement libanais à Beyrouth il y a quelques années. Ces «relations diplomatiques» d'une députée souverainiste déplaisaient d'ailleurs fortement au gouvernement fédéral, à Ottawa.

Il s'agit sans contredit d'un recul, à un moment délicat, pour le mouvement souverainiste. Un recul qui rappelle, de triste mémoire, le discours de Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995 et ses effets néfastes sur les relations entre souverainistes et immigrants.

Bernard Landry ne s'y est pas trompé en parlant d'une décision "catastrophique" du chef du Bloc. M. Landry l'a souvent dit: l'approche et le travail de persuasion des souverainistes auprès des néo-Québécois sont une mission de longue haleine à laquelle d'anciens compagnons d'armes, comme Gérald Godin, ont consacré beaucoup de temps, sans toujours obtenir beaucoup de résultats.

Or, la courbe démographique étant ce qu'elle est au Québec (dénatalité et vieillissement de la population «de souche» et augmentation de la population immigrante), une victoire référendaire sans un certain appui des "néo" devient chaque décennie un peu plus illusoire.

L'expulsion de Maria Mourani relance, dans la famille souverainiste, le débat entre "Nous" et "Eux" et, à en juger par ses propos, l'ex-députée du Bloc croit que le projet du gouvernement Marois nous éloigne d'eux. Et réciproquement.

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