Dès ses premiers pas en politique, il y a plus de six ans, commentateurs, militants péquistes et même adversaires politiques ont reconnu le talent de Bernard Drainville, au point où il s'est rapidement retrouvé sur la courte liste des successeurs possibles de Pauline Marois.

Après avoir mangé ses croûtes dans l'opposition tout en faisant sa marque lors des congrès du Parti québécois (faisant notamment adopter le principe des référendums d'initiative populaire, relégué aux oubliettes pour cause de gouvernement minoritaire), le nouveau ministre Drainville a mené rondement ses réformes du financement des partis politiques cette dernière année.

Son plus gros test à ce jour, toutefois, il le vit en ce moment, avec le dépôt, la présentation et la défense de son projet de «charte des valeurs québécoises».

Debout devant son tableau, expliquant avec verve sa Charte devant les médias, mardi au Parlement, il faisait (presque!) penser à René Lévesque. Ne manquait que la cigarette, mais M. Drainville, comme la grande majorité des fumeurs occasionnels, préfère se faire discret quand il en grille une.

Passionné, répondant et discourant avec un mélange d'humour et de populisme, Bernard Drainville est certes un des meilleurs communicateurs de sa génération sur la scène politique québécoise.

Le pari est certes risqué pour le gouvernement, mais la joute s'annonce aussi serrée pour les partis de l'opposition. Les libéraux, comme toujours sur les questions identitaires, marchent sur des oeufs. Du côté de la CAQ, François Legault se retrouve coincé: s'il appuie inconditionnellement le gouvernement, il ne gagne rien; s'il tente d'adoucir le projet, il risque de perdre les nationalistes tentés de retourner au PQ.

Pour la joute et la forme, un A à Bernard Drainville. Sur le fond, toutefois, il y a des trous dans son argumentaire. Des trous juridiques, surtout.

Mardi, lorsque le confrère Michel C. Auger lui a demandé si le gouvernement ne créerait pas deux régimes de droit en interdisant dans le public ce qui est permis dans le privé (le port de signes religieux), le ministre Drainville a complètement évité la question par un «Ben voyons donc!» retentissant. Mais encore? Le jour où, inévitablement, cette question se retrouvera devant les tribunaux, il y a fort à parier que la défense du «Ben voyons donc!» de Québec ne convaincra pas les juges!

Aux questions de mon collègue Paul Journet, du bureau de Québec, qui voulait savoir si des études et des compilations de plaintes contre des signes religieux existent, le ministre Drainville a répondu qu'il est trop compliqué de compiler ce genre de choses (ben voyons donc!), mais qu'il sentait un malaise ambiant, notamment chez les parents qui laissent leurs enfants à des éducatrices voilées.

Le gouvernement Marois vient d'inventer le principe de la législation préventive sur la base du malaise appréhendé. Encore là, il est douteux que cela passe le test constitutionnel (et même, d'abord, dans la Charte québécoise des droits et libertés), quoi qu'en dise le ministre. Et puis, au fait, pourrait-on voir les avis juridiques qui confortent à ce point le gouvernement?

Il existe, dans notre société, pas mal de sujets qui suscitent des malaises, le plus souvent à propos de minorités. Si le gouvernement Chrétien avait écouté les "malaises", le mariage gai ne serait pas permis au Canada.

Immigrants (surtout visibles), homosexuels, parents homosexuels, transgenres, handicapés, même les témoins de Jéhovah suscitent souvent le malaise. Le devoir du gouvernement, c'est de les protéger, pas de les ostraciser en insistant pour dire qu'ils ne sont pas comme la majorité.

Du coup, le gouvernement envoie le message que les signes religieux, c'est suspect (surtout le hijab sur la tête des femmes musulmanes, très présentes dans les services de garde d'enfants) et il renforce les préjugés en affirmant, toujours sur la base de présomptions, que plusieurs parents sont mal à l'aise. Pour le moment, l'interdiction ne viserait que la fonction publique, mais comment s'assurer que cela n'aggravera pas l'intolérance envers ces femmes voilées dans la rue, dans le métro, au supermarché?

Le vrai problème de la conciliation travail-religion (le gouvernement aborde justement cette question), c'est celle de l'organisation du travail. Qu'il porte ou non sa kippa, qu'elle porte ou non le tchador, le juif religieux et la musulmane pratiquante voudront prendre leurs congés sacrés. Là, on retombe dans les accommodements raisonnables, qu'il convient d'encadrer, en effet, pour éviter les tensions et l'arbitraire.

Bernard Drainville devra aussi utiliser ses dons de communicateur pour expliquer d'autres bizarreries de son projet. À commencer par le crucifix de l'Assemblée nationale, mais aussi le fait que les députés pourront continuer de prêter serment sur la Bible. Pas très laïque ou neutre, une bible, pour promettre de bien servir son prochain.

Il faudra aussi expliquer pourquoi le gouvernement a reculé sur son engagement d'interdire, en recourant, disait-il, à la clause dérogatoire s'il le faut, la prière aux conseils municipaux. Le maire Jean Tremblay de Saguenay, symbole de la résistance chrétienne en sol laïque, peut remercier le petit Jésus et Pauline Marois de l'avoir exaucé.

Serait-ce que le gouvernement a réalisé que la Cour d'appel du Québec avait donné raison à la Ville de Saguenay en vertu de la... Charte québécoise des droits et libertés?

Cette fois, difficile de pourfendre le multiculturalisme et la «charte à Trudeau».