Dans un sondage Léger Marketing d'il y a quelques semaines, les Québécois francophones exprimaient une très forte opposition à toute forme d'accommodement religieux, raisonnable ou non.

Ils s'opposaient, dans une proportion de 71%, au port de signes religieux par les fonctionnaires municipaux, et à 72% pour les médecins, 93% d'entre eux étaient contre la séparation des hommes et des femmes dans les piscines, 66% contre les demandes d'être soignés par un médecin ou une infirmière de même sexe, 74% contre des congés religieux supplémentaires, 66% contre des menus hallal ou casher dans les CHSLD.

En somme, ils se montraient moins accommodants que les tribunaux, les institutions quotidiennement aux prises avec ces enjeux, et même l'actuel gouvernement du Québec, d'après ce que l'on sait de son projet de charte des valeurs québécoises.

C'est une donnée dont il faut tenir compte. Le Québec n'est certainement pas en crise, mais ces réponses dénotent l'existence d'un malaise dans une bonne partie de la population face à l'immigration. La pire chose à faire, c'est de l'ignorer.

Ce malaise, selon la thèse officielle, tiendrait à l'attachement des Québécois à certaines valeurs québécoises, notamment la laïcité et l'égalité hommes-femmes, d'où l'idée de les inscrire dans une charte. C'est spécieux. Car le débat actuel semble souvent moins indiquer un attachement à la laïcité qu'une résistance à l'intrusion des autres religions. Quant à l'égalité des sexes, ce n'est pas une valeur spécifiquement québécoise.

Le débat actuel exprime certainement un refus de faire des compromis sur la question de l'égalité des sexes, essentiellement face à l'islam intégriste, mais il trahit aussi l'existence, au Québec, d'un seuil de tolérance à l'immigration, et manifestement le fait que ce seuil a été dépassé pour bien des gens.

Cette résistance se retrouve, à des degrés divers, dans toutes les sociétés. Elle exprime des sentiments humains profonds, comme la peur de voir son monde se transformer et la méfiance de l'autre. Il n'est pas sage de nier de telles réalités sociologiques comme semble le faire le Canada, dont le mythe du multiculturalisme crée l'illusion de l'harmonie.

Ce seuil de tolérance est plus bas au Québec, comme dans bien des sociétés plus homogènes, ce qui est renforcé par le fait qu'il s'agit d'une nation minoritaire, hantée par la peur de disparaître, ce qui la pousse à réagir avec force à tout ce qui est perçu comme une menace à son identité.

Cela est renforcé par une réalité démographique factuelle, l'accélération de l'immigration, et l'écart culturel croissant entre les immigrants et la société d'accueil. Le Canada, avec l'Australie, est le pays où le taux d'immigration est le plus fort au monde. C'est un peu moins au Québec, mais les seuils de 50 000 immigrants par année - soit un demi-million en dix ans, concentrés dans la métropole - sont élevés.

Cette immigration est nécessaire en raison du déclin démographique, mais on n'a pas déployé les énergies nécessaires pour relever les défis qu'elle pose en matière d'accueil, d'intégration, d'acceptation.

Par contre, avec les travaux de la commission Bouchard-Taylor, on sait que le malaise, souvent nourri par la désinformation, peut se désamorcer assez facilement. En outre, les réactions les plus vives proviennent des régions qui ne sont pas en contact avec l'immigration, ce qui suggère que les Québécois expriment moins l'existence de problèmes d'interaction réels qu'une peur diffuse, nourrie par la rumeur et la méconnaissance.

L'enjeu pour le Québec, c'est le chemin qu'il choisira pour répondre à ce malaise. Prendra-t-il les moyens pour désamorcer les craintes, pour s'attaquer à leurs causes, ou choisira-t-il plutôt de les cautionner et de les nourrir? C'est le test que devra passer le gouvernement Marois quand il rendra publique sa charte des valeurs québécoises, lundi prochain.