La Grande-Bretagne n'ira pas. L'Allemagne n'envisage pas d'intervenir en Syrie, elle non plus. L'ONU, on n'en parle même pas. Il reste les États-Unis. Et la France.

Dans une entrevue au Monde, le président François Hollande a réitéré hier sa ferme intention de participer à une aventure militaire visant à "punir" le régime syrien pour le massacre à l'arme chimique du 21 août dernier.

François Hollande a décrit cette intervention comme une "sanction" destinée à décourager Bachar al-Assad de déployer de nouveau son arsenal chimique.

Il ne s'agira pas, comme en Libye, d'offrir une protection aux civils avant d'aider les rebelles à renverser leur dictateur. Ce ne sera pas non plus le Mali, où les troupes françaises ont chassé les islamistes qui contrôlaient le nord du pays et menaçaient le Sud. Ce sera plutôt une guerre limitée et dissuasive.

«Quel est le plus grand danger? Punir un pays qui a utilisé l'arme chimique ou laisser faire un clan aux abois qui peut avoir la tentation de recommencer?», a demandé François Hollande aux journalistes du Monde.

Excellente question. Mais la réponse, hélas, n'est peut-être pas celle que suggère le président. Car dans l'état actuel des choses, le danger de l'intervention pourrait bien surpasser celui de l'inaction.

C'est dans une bien drôle de guerre que s'engagent Paris et Washington. Une guerre dont le succès dépend d'un délicat équilibre entre frapper pour faire suffisamment mal, mais pas trop.

Car l'un des pires scénarios, actuellement, serait... un effondrement rapide du régime Assad. «S'il y a des frappes générales et que l'armée syrienne s'effondre, entre les différentes milices, la Syrie sombrera dans le chaos», dit Samir Aïta, économiste et journaliste syrien établi à Paris.

Selon lui, la Coalition nationale de l'opposition syrienne est incapable, actuellement, de reprendre en main le pays, après l'éventuelle chute du dictateur.

Des frappes de portée moyenne, qui ne renverseraient pas Bachar al-Assad, risquent en revanche de créer une escalade régionale. En guise de représailles, le Hezbollah pourrait déstabiliser davantage le Liban. Damas pourrait attaquer Israël. "Ça pourrait vite devenir incontrôlable», dit Samir Aïta.

À l'autre bout du spectre, il y a aussi, bien sûr, la perspective de frappes tellement faibles que le régime syrien en ressortirait renforcé dans son sentiment d'impunité.

L'intervention franco-américaine sera donc une sorte de promenade au-dessus d'un gouffre. Un pas de côté, et c'est le cauchemar. Pire encore que celui que nous suivons, de loin, depuis deux ans et demi.

«Il n'y a que de mauvaises options dans ce genre de crise», reconnaît Bruno Tetrais, de la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. Il croit néanmoins qu'il vaut mieux agir que de ne rien faire. «Parce que l'option de rechange serait de signaler au monde entier qu'on peut gazer sa population sans réaction internationale.»

Et puis, il n'y a pas uniquement les scénarios catastrophes. Samir Aïta admet que cet exercice d'équilibrisme au-dessus de l'enfer a une chance, tout infime soit-elle, d'affaiblir le régime Assad. Assez pour l'amener à la table des négociations. Et pour relancer ce qu'on a appelé le processus «Genève 2».

En d'autres mots, les risques de l'intervention sont énormes. L'espoir est infiniment petit. Mais il est là.

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Les doutes: oui, c'est vrai, on ne sait pas à coup sûr que l'attaque au gaz chimique a été déclenchée par l'armée de Damas. Il est probable que le doute persistera, même après que les inspecteurs eurent fait rapport à leurs patrons, à New York.

Mais je maintiens que tout pointe vers la responsabilité du régime. Ceux qui attribuent l'attaque aux rebelles s'appuient sur une sorte de «preuve par analyse d'intérêts», en présumant que les forces anti-Assad avaient plus à gagner d'une telle attaque - une intervention internationale - que le régime lui-même.

Et si Assad avait parié sur le fait que, malgré une attaque chimique, la communauté internationale serait tellement divisée, les populations occidentales tellement lassées des guerres qui n'en finissent plus, que le monde ne ferait rien? Et qu'il dispose, de facto, d'un feu vert pour tuer et massacrer sa population?

Un pari tordu et à haut risque, et surtout difficile à étayer - mais qui montre qu'Assad pouvait avoir, lui aussi, un intérêt stratégique à choquer la planète. Et mettre en lumière l'impuissance du monde.