Pour une rare fois, un projet du gouvernement Marois obtient un appui solide dans la population. Selon un sondage Léger Marketing, 57% des répondants trouvent que sa charte des valeurs québécoises pour encadrer les accommodements avec les minorités est une bonne idée, une proportion qui passe à 65% chez les francophones.

Comme le gouvernement péquiste est le seul à défendre ce projet, le seul à vouloir entre autres limiter le port de tous les signes religieux dans le secteur public, détient-il une carte gagnante dans un contexte où, minoritaire, il devra affronter l'électorat plutôt tôt que tard?

Les choses ne seront pas aussi simples. D'abord, parce que ce projet ne reflète pas vraiment l'existence d'un consensus, comme l'affirme la première ministre Pauline Marois. Si on regarde de plus près le sondage des quotidiens Québécor, les 65% de francophones qui appuient la charte des valeurs ne constituent pas un bloc homogène.

Cette idée trouve un soutien chez ceux qui favorisent une séparation plus nette entre l'Église et l'État et ceux qui craignent que les pressions religieuses, surtout celles de l'islam intégriste, menacent le principe de l'égalité entre les sexes.

Mais chez plusieurs, l'appui à cette charte reflète aussi une inquiétude face à l'immigration en général, une peur de l'autre. L'attachement de 60% des francophones au crucifix semble moins trahir un élan laïciste qu'un réflexe défensif d'une société qui n'a pas rompu totalement avec le catholicisme. On sent aussi dans ce sondage des sursauts d'intolérance, par exemple l'opposition aux repas respectant des rituels religieux dans les CHLSD chez 66% des francophones.

On ne peut pas reprocher au gouvernement péquiste d'agir dans ce dossier. Il est souhaitable que le Québec se dote de balises. Le gouvernement Charest a fait preuve de lâcheté en n'agissant pas après le dépôt du rapport de la Commission Bouchard-Taylor qu'il avait mis sur pied. Le gouvernement péquiste comble le vide, mais en s'écartant des recommandations raisonnables de cette commission, par ses solutions, mais aussi par son ton.

Tant le ministre Bernard Drainville que Mme Marois ont fait un parallèle entre cette charte et la loi 101! Une comparaison très troublante, car elle laisse entendre que l'enjeu des accommodements est aussi important que celui de la survie du français, et joue ainsi sur le thème d'une menace que représenterait l'immigration.

Dans un contexte électoral, ce projet du gouvernement péquiste rencontrera des écueils importants. À moins que le Québec soit sur une autre planète, les partis qui font de l'immigration un enjeu majeur, et qui en dramatisent les effets, ne sont en général pas socialistes! Cette bataille du PQ marque un glissement à droite qui comporte aussi un coût.

La stratégie peut également avoir un effet de boomerang qui peut nuire à Mme Marois, en affectant son image de premier ministre au-dessus de la mêlée. Surtout qu'elle n'a pas fait preuve de tact et de jugement dans ce dossier, pensons à la fois où elle a comparé le coprésident de la commission, Gérard Bouchard, à Elvis Gratton, ou à l'empressement avec lequel elle a appuyé l'interdiction du turban sikh.

Enfin, dans l'action, ce projet de charte va devoir traverser une course à obstacles: l'opposition de tous les autres partis, les contestations judiciaires, les répercussions négatives ailleurs au Québec, et la mise en exergue des défauts d'un projet qui, si les fuites disent vrai, ratisse beaucoup trop large. N'oublions pas que, jusqu'ici, ce gouvernement ne s'est pas distingué par ses dossiers bien ficelés.

Cela annonce des chicanes à n'en plus finir. S'il y a une chose que les Québécois n'aiment pas, ce sont les chicanes. Et en général, ceux qui en paient le prix, ce sont ceux qui les ont provoquées.