À l'occasion des audiences de la commission parlementaire sur la réglementation du prix du livre, nous publions aujourd'hui le premier de deux éditoriaux.

Au Québec, le débat sur l'opportunité de réglementer le prix du livre, qui a cours actuellement en commission parlementaire, est en réalité engagé depuis près de trois décennies.

Il a débuté après que la France eut expérimenté l'environnement créé par la Loi Lang, dite du «prix unique». Adoptée en 1981, elle était destinée à protéger les libraires indépendants en interdisant la vente au rabais par les grandes surfaces. La même année et dans le but aussi de protéger les libraires, Québec adoptait la Loi 51 donnant notamment à ceux-ci, sous réserve d'agrément, le privilège exclusif d'approvisionner les institutions publiques, dont les bibliothèques.

Dans les deux cas, il s'est agi d'interventions économiques lourdes de l'État, desquelles on attendait d'importantes retombées culturelles liées au salut des librairies.

Pourquoi alors, en France, les librairies sont-elles toujours à ce point fragiles (une situation «très sombre», dit une étude récente) que le ministère de la Culture a dû, en avril et juin derniers, leur consacrer trois nouveaux plans d'aide totalisant 18 millions d'euros? Et pourquoi, au Québec, où le chiffre d'affaires de la chaîne du livre dépend largement et de mille façons des coffres de l'État, faut-il encore «prévenir une hécatombe», selon le ministre de la Culture, Maka Kotto?

Devant la commission parlementaire, des pistes de réponses sont apparues depuis trois jours.

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Un. Semble mal comprise la mécanique du marché et l' «instinct de survie» du consommateur, notamment de culture.

Un livre n'est pas une conserve de petits pois et n'est pas «un produit comme un autre», ne cesse-t-on de répéter devant la commission. C'est vrai. Mais son commerce relève des mêmes règles. Dont une, absolue: hausser globalement les prix (ce que ferait le prix unique) va globalement diminuer la demande, a dû rappeler François Colbert, professeur aux HEC.

Autre exemple: en France, quinze ans après l'adoption de la Loi Lang, on a constaté que les comptoirs de livres s'étaient multipliés dans 850 hypermarchés et 5000 supermarchés, leurs profits sur le livre étant devenus juteux puisque consentir des rabais leur était dorénavant interdit!

Deux. Un prix réglementé affecterait d'abord les lecteurs occasionnels aux revenus souvent modestes. Ce serait «une taxe sur l'ignorance», dit encore Colbert... à qui une intervenante du milieu des libraires a répliqué que ces gens «n'ont qu'à aller dans les bibliothèques» ! Hélas, celles-ci, obligées par la Loi 51 de s'approvisionner à plein prix chez les libraires (82 millions$) se voient restreintes dans le volume de leurs acquisitions...

Trois. Les libraires identifient peut-être mal leurs «ennemis». Ce que nous verrons demain.