Quand l'armée a renversé le président islamiste Mohamed Morsi, le 3 juillet, de nombreux Égyptiens l'ont applaudie comme s'il s'agissait non pas d'un coup militaire, mais d'un nouveau chapitre de leur révolution.

Parmi ces improbables partisans de l'armée figuraient le grand imam de la mosquée Al-Azhar, le leader de l'Église copte, le Prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, et des tas d'Égyptiens progressistes, démocrates et laïques - dont mon copain Ayman...

Morsi est une catastrophe, il divise les Égyptiens et pousse le pays vers la guerre civile, se disait Ayman. Avec l'intervention de l'armée, il y avait au moins une chance d'échapper au pire. Ayman croit toujours qu'il fallait chasser les Frères musulmans. Mais depuis mercredi, il se dit que le prix à payer a été très, très élevé.

Lourd prix, en effet. Au moins 500 morts, probablement plus. Un massacre, pire que tout ce qu'on avait vu en 2011. Puis, retour à la loi d'urgence, comme à la belle époque d'Hosni Moubarak.

Les nouveaux dirigeants égyptiens ont bien promis que l'état d'urgence ne durerait pas et qu'ils remettraient rapidement les clés du pouvoir à un gouvernement civil. Mais ça devient de plus en plus difficile à croire. Mercredi, toutes ces promesses ont été noyées dans le sang.

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Quand on jette un coup d'oeil dans le rétroviseur, l'histoire du soulèvement égyptien ressemble à un catalogue d'illusions déçues. L'illusion de l'armée libératrice, d'abord. Le jour où Moubarak est tombé, l'armée a pris l'intérim du pouvoir, en promettant de le laisser dès les premières élections démocratiques. Mais elle s'est accrochée. Et il a fallu que les Égyptiens redescendent massivement dans les rues pour la forcer à desserrer son emprise.

L'autre illusion est celle de l'unité nationale. La nouvelle Égypte sera inclusive, s'émerveillaient les manifestants de la place Tahrir, alors que chrétiens et barbus brandissaient leurs pancartes côte à côte.

Sauf que cette belle unité a rapidement craqué. Devant la désorganisation des partis laïques, les Frères musulmans ont compris qu'ils avaient un ticket vers le pouvoir. Une fois élus, ils se sont empressés de se l'approprier. Poussant une nouvelle fois les Égyptiens à protester.

Cette fois, c'étaient les Frères musulmans contre tous les autres, réunis sous l'étiquette Tamarod - révolte.

Les contestataires avaient des tas de bonnes raisons de souhaiter la chute du régime Morsi. Mais ils ont été un peu naïfs en faisant de nouveau confiance à l'armée. Et il aurait mieux valu que le changement de régime se fasse à coups de bulletins de vote. Pas à coups de balles et de centaines de morts.

Finalement, ceux qui ont cru à la possibilité d'un coup d'État démocratique en ont été quittes pour une autre désillusion.

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«Que Dieu protège l'Égypte», a dit le pilote quand l'avion a touché le sol, tard hier soir. Derrière moi, un couple s'est mis à rire. Plus tard, devant le convoyeur à bagages, un étudiant d'origine égyptienne m'a dit qu'il avait été content de voir tomber Morsi. Mais là, il ne sait plus. «Tout est flou.»

«Army, good», a marmonné le chauffeur de taxi alors que nous traversions un énième barrage militaire. «This is make up?», m'a demandé avec un clin d'oeil le soldat qui a fouillé ma valise, à un des barrages, en tâtant ma trousse de toilette. On aurait dit un petit garçon qui jouait avec un nouveau jouet.

Le taxi filait à toute vitesse sur les boulevards étrangement déserts à cause du couvre-feu, en vigueur de 19 h à 6 h.

Il y a deux ans, lors de ma dernière visite, l'Égypte commençait tout juste à mesurer le poids des islamistes. Aujourd'hui, elle vient de leur montrer la porte. Mais la suite des choses est plus qu'incertaine. Je vous en reparle dès demain, si Dieu le veut bien.