En théorie, les Québécois et les Terre-Neuviens ont tout pour s'entendre. Les deux peuples portent une culture nationale originale et forte. Les deux se méfient des pouvoirs extérieurs, qu'ils siègent à Ottawa ou à Toronto. Et ils tiennent à se développer à leur manière.

Pourtant, dans un domaine où la coopération devrait s'imposer, l'hydroélectricité, Québec et Terre-Neuve se querellent depuis des décennies. Le plus récent accrochage de cette vieille chicane s'est produit cette semaine alors qu'Hydro-Québec a demandé à la Cour supérieure de statuer sur l'interprétation inédite que fait sa vis-à-vis terre-neuvienne, Nalcor, du contrat qui lie les deux parties jusqu'en 2041.

En vertu de l'entente conclue en 1969, Hydro-Québec peut acheter à Terre-Neuve presque toute l'électricité produite par la centrale de Churchill Falls, au Labrador. Le prix convenu s'est révélé dérisoire après l'explosion des coûts de l'énergie dans les années 1970. Depuis ce temps, les Terre-Neuviens nourrissent un profond ressentiment à l'endroit du Québec.

L'accord original prévoyait un renouvellement automatique en 2016, pour 25 ans, avec un prix... encore plus bas. Des propos récents de représentants de Nalcor indiquent que, selon eux, l'entente renouvelée modifie aussi les quantités d'énergie auxquelles a droit Hydro-Québec. Suivant leurs prétentions, au lieu d'avoir le contrôle quasi-entier sur la production de Churchill Falls, comme si la centrale faisait partie de son propre parc de production, la société d'État québécoise devrait être soumise à un plafond mensuel. Citant l'interprétation que la Cour suprême a faite du contrat, Hydro-Québec rétorque que la nouvelle approche des Terre-Neuviens «nierait le droit d'Hydro-Québec à "pratiquement toute l'énergie produite aux chutes Churchill"».

Tout comme leurs homologues québécois, les politiciens de Terre-Neuve sont passés maîtres dans l'art de mettre les problèmes de la province sur le dos des autres. Après le dépôt de la requête d'Hydro-Québec, la première ministre Kathy Dunderdale a accusé le Québec de faire une tentative «désespérée» pour bloquer le développement hydroélectrique du Bas-Churchill, un ambitieux projet lancé par Terre-Neuve.

À première vue, le point de vue d'Hydro-Québec semble difficilement contestable et il est probable que le Québec remporte la xième round de ce combat. Néanmoins, quoi qu'il advienne devant les tribunaux, il serait avantageux pour les deux provinces et pour le pays que cette interminable chicane prenne fin.

Parce qu'elles sont voisines, parce qu'elles ont souvent des intérêts communs, parce qu'elles auront à collaborer dans l'exploitation des ressources pétrolières du gisement Old Harry, Québec et Terre-Neuve devraient faire une nouvelle tentative pour régler leurs différends. Malheureusement, le climat politique de part et d'autre de la frontière est peu propice à la tenue d'une telle négociation.