Le Tour de France commence donc véritablement aujourd'hui avec la première étape pyrénéenne, il se poursuivra demain avec la seconde étape pyrénéenne, puis fera relâche jusqu'au Ventoux, c'est-à-dire jusqu'à l'autre dimanche. C'est-à-dire qu'on va se faire joyeusement chier entre les deux: Saint-Malo, Tours, Saint-Amand-Montrond, Saint-Pourcain-sur-Sioule. Quand on va dans ces coins-là pour les châteaux, la bouffe, le vin, le fromage, c'est le fun. Mais pour le vélo, le menu du jour est le même jour après jour: Cavendish, Cavendish, Cavendish...

Vous saurez me le dire si je me trompe.

Hier les sprinters, les Cavendish justement, Kittel, Greipel, se sont fait sortir à 90kilomètres de l'arrivée dans un petit col de rien du tout. Ç'a été mon plaisir de la journée. Remarquez, ça s'est tout de même terminé par un sprint massif à Albi, enlevé par PeterSagan, un sprinter lui aussi, mais celui-là pas totalement débile. En tout cas, il ne pique pas une crise chaque fois qu'il finit deuxième. Heureusement d'ailleurs, il a fini trois fois deuxième depuis le départ, et une fois troisième...

Qui va gagner le Tour? J'ai le pressentiment qu'il ne passera à l'histoire que pour avoir été le 100e. Le Britannique (Chris Froome) devrait régler dès aujourd'hui son compte à l'Espagnol (Alberto Contador) et en rajouter une couche dans le contre-la-montre du Mont-Saint-Michel mercredi. Et voilà, ce sera fini.

Ne vous fiez quand même pas trop à mes pronostics. Vous vous souvenez de celui du Tour d'Italie? Hesjedal, avais-je décrété, le poing sur la table. Hesjedal, nom de Dieu! Et ceux qui disent le contraire n'y connaissent rien. C'est pas arrivé. Il était malade, bon. Mais vous avez raison. Même en santé, il n'aurait jamais battu Nibali.

Je crois quand même que ce garçon gagnera le Tour de France un jour, mais il faudra pour cela qu'il arrête de tomber. Il est de toutes les chutes du peloton, ou presque. Paraît qu'il est vexé quand il en rate une. Paraît que lorsqu'il n'est pas tombé de la journée, il fait exprès, à l'hôtel, de rater une marche dans l'escalier.

Sérieux, il a perdu hier, en Vande Velde, victime de chutes lui aussi, un équipier précieux pour les étapes de montagne. Je vois quand même Hesjedal finir troisième à Paris, derrière Froome et Contador.

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J'ai sacré pendant des années en entendant à la radio ou à la télé le résultat des courses de vélo. Bulletins de sports écrits et livrés par des journalistes qui n'entendaient pas grand-chose au cyclisme... Untel a terminé hier 134e de la deuxième étape du Tour de France. J'avais beau leur envoyer un petit mot pour leur dire que le rang n'avait aucun intérêt, aucune signification dans une arrivée massive, surtout que le rang ne rendait pas justice au coureur en question - 134e ou 34e, c'était kif-kif, bourricot -, j'avais beau leur suggérer Untel «a terminé dans le peloton dans le même temps que le vainqueur», j'avais beau, c'était comme pisser dans un violon.

Ça a duré au moins 50 ans. Puis est arrivé David Veilleux. Premier coureur québécois à participer au Tour de France. Et voilà, le Québec en a plus appris sur le vélo en 5 jours avec lui qu'en 50 ans avec moi.

David Veilleux passe son vélo à Pierre Rolland son leader, attend le dépannage, rentre tranquillement à la ligne, tout le monde comprend qu'il n'a pas essayé de terminer 83eplutôt que 123e. Qu'il n'est pas là pour faire un rang, mais pour faire une job.

Son leader est pris dans une chute, David l'aide à remonter en selle, le relance, se laisse glisser. Il finira à 15 minutes.

L'étape plaine-montagne d'aujourd'hui? On lui demandera de veiller (de Veilleux? s'cusez) sur Pierre Rolland jusqu'au pied du premier col et, rendu là, de donner tout ce qui lui reste pour aspirer son leader dans les premiers kilomètres de l'ascension.

Ce qui est certain, c'est que Veilleux terminera dans le groupetto qui ferme la marche du Tour dans les étapes de montagne. Et là, oui, il y a une différence: 134e ou 34e, c'est pas kif-kif, bourricot.

Le croyez-vous capable de gagner une étape, monsieur le chroniqueur?

Une étape de montagne, évidemment non. Une étape de sprinters, non plus. Restent deux ou trois étapes dites de moyenne montagne qu'affectionnent les baroudeurs comme Sagan et BoassonHagen. David n'est pas de ce niveau-là. Hier, c'était justement une de ces étapes rock'n'roll; ils sont arrivés une centaine à la ligne. Veilleux n'en était pas. Et cette fois, ce n'était pas d'avoir trop travaillé pour son leader. C'était, de son propre aveu, de n'avoir pas pu suivre.

Alors non, David ne gagnera pas une étape.

Terminera-t-il le Tour?

Ça, c'est une bien meilleure question. Réponse après l'effrayante étape de demain: cinq cols, dont quatre de première catégorie.

UN TEMPS NOUVEAU - Ce n'est pas parce qu'on hait LanceArmstrong qu'on peut lui faire dire n'importe quoi. Il n'a pas dit, à la veille du présent Tour, qu'il fallait être dopé pour le gagner. Il a dit: «Du temps où, moi, j'ai couru le Tour, il fallait être dopé pour le gagner.» Ce qui est une évidence. Même pour finir 46e, il fallait être dopé.

Armstrong pense-t-il que c'est pareil aujourd'hui? Je suis sûr qu'il pense ça. Mais il ne l'a pas dit. Moi non, je ne le dirai pas.

La différence aujourd'hui est peut-être qu'il n'est plus nécessaire de se doper pour finir 46e. Mais s'il y a un truc qui est bien pareil-pareil qu'avant, ce sont les grandes protestations qui annoncent, qui ont annoncé un temps nouveau, après chaque grand scandale de dope. Après Festina, table rase, on est reparti à zéro, mon vieux! Un temps nouveau incarné à l'époque par... Armstrong! Après Pantani. Après TylerHamilton. Après FloydLandis.

Le vélo est toujours en train de vivre un temps nouveau. Il n'a pas de passé. C'est son problème.