Vous ai-je déjà dit que j'avais habité la même pension de famille que Léo Ferré? Ça doit. Je vous dis tout. Dix ans après lui. La pension s'adossait à la faculté de médecine dans le bas de la rue Saint-Benoît, je travaillais dans une imprimerie juste en face qui est devenue un hôtel chic, la pension est toujours là, mais ce n'est plus une pension. Je suis passé l'autre jour, c'est je ne sais quoi...

Ce n'est pas pour ça que j'aime Ferré. Je l'aime depuis tout petit, je l'aime depuis la première fois que je l'ai entendu, je voulais être anarchiste comme lui, moi aussi je prenais les campanules pour des fleurs de la passion. C'est par lui que m'est venue la poésie, enfin par Aragon, mais chantée par Ferré.

Je n'avais jamais lu de livre sur Ferré. C'est le premier. Il est sorti ce printemps. Le titre: Comment voulez-vous que j'oublie. L'auteure: Annie Butor, la fille de Madeleine. Et Madeleine, c'est «l'autre» dans la chanson Avec le temps.

«L'autre qu'on adorait qu'on cherchait sous la pluie.» L'autre, Madeleine donc, se matérialise soudain dans le livre et cela fausse grandement les perspectives. Voilà que la plus belle chanson d'amour de tous les temps devient la plus triste chanson d'amour de tous les temps.

Vous aimez Léo Ferré? Vous voulez l'aimer encore? Alors il ne faut pas lire Comment voulez-vous que j'oublie...

Annie qui écrit le livre, Annie la fille de Madeleine a 5 ans en 1950 quand sa maman lui dit: on va voir ce soir un monsieur très gentil, je compte sur toi pour être gentille aussi.

Le monsieur, c'était Léo Ferré. Madeleine et Ferré resteront 18 ans ensemble, Annie a tout vu, tout entendu: il pouvait être fastueux ou sordide, sa bonté était intermittente, son coeur sélectif, sa mauvaise foi colossale. Il a voulu mettre à la poubelle son passé. Il a soigné sa légende de poète maudit... (et celle d'anarchiste, donc!), il a fait de sa haine son fonds de commerce.

Vous aimez Ferré? Ne lisez pas ce livre-là. Réécoutez Pépée. T'avais les mains comme des raquettes, Pépée, pépée...

Les chapitres les plus douloureux sont ceux où il est question de Pépée justement, la chimpanzé que Madeleine et Léo ont adoptée comme leur fille, de laquelle Ferré disait qu'elle avait des oreilles comme celles de Gainsbourg, et pour laquelle, lui, l'anar, courait les épiceries les plus chics de Paris (Hédiard et Fauchon) pour lui acheter des fruits exotiques. La guenon finira par se blesser en tombant d'un arbre, Ferré s'enfuira en abandonnant à Madeleine toute leur ménagerie - deux autres chimpanzés, un âne, des chiens... quand j'entends Pépée à la radio, dit Annie, je ferme la radio.

Elle la ferme aussi quand elle entend Avec le temps tout va, tout s'en va. C'est un livre qui nous dit que finalement, ça ne s'en va pas tant que ça. Vous aimez Ferré? Ne lisez pas ce livre-là.

Ou peut-être que si.

LE GROS PRIX - Fait longtemps qu'on s'est parlé d'haltérophilie! Je vous donnerai une autre fois des nouvelles de Maryse Turcotte, on va seulement parler deux minutes du club où elle s'est entraînée toute sa carrière et où s'entraînent actuellement une vingtaine d'haltérophiles, dont Mikael Gonsalves, champion canadien junior l'an dernier, et Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, 8e à Londres, qui part aujourd'hui pour Kazan (au Tatarstan), où elle participera aux Universiades.

Depuis Maryse, et même avant, depuis près de 20 ans, le club Fortius - aujourd'hui dirigé par Éric Guénette - est hébergé au gymnase de l'école Antoine-Brossard, à Brossard. La commission scolaire loue ses gymnases à la Ville, qui les met à la disposition de la population en dehors des heures scolaires. Un service qui ne coûtait rien au club Fortius et rien aux athlètes, sauf les 200$ d'inscription par année que les athlètes paient au club.

Changement annoncé pour l'automne: la municipalité de Brossard envisage de facturer au club Fortius 20$ l'heure pour chaque adulte (plus de 18 ans) qui s'entraîne au gymnase.

Le club Fortius, qui n'a évidemment pas un sou, ne pourra faire autrement que de refiler la facture à ses haltérophiles. Petit calcul rapide: Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, 8e athlète au monde dans la catégorie des 69 kg, s'entraîne environ 20 heures par semaine, si je compte bien, ça va lui coûter 400$ par semaine pour s'entraîner. Cinquante semaines: 20 000$ par année!

La tendance, monsieur le maire, je vous le dis gentiment, la tendance, même au Tatarstan, la tendance est d'aider les athlètes, pas de les rançonner.

VÉLO - C'était l'autre jour à la douane de Frelighsburg. Dans la file d'attente, deux couples, quatre vélos prolongés chacun par un vélo d'enfant (avec un enfant dessus, évidemment). Je recommence, quatre adultes, trois petites filles, un petit garçon, au moins vingt sacoches - cinq par vélo -, ils revenaient de trois jours de camping au Vermont, les tentes, les casseroles, la bouffe et tout, ils avaient campé la veille au State Park du lac Carmi, trois kilomètres et demi de montée, ce serait un col de quatrième catégorie dans le Tour de France...

Il leur restait 25 kilomètres pour rentrer à la maison, z'avaient l'air d'une caravane dans le désert de Gobi, je les ai accompagnés un moment en essayant de calculer le poids de chaque attelage, l'enfant, le parent, les sacoches, le vélo lui-même, disons minimum 250 livres, ils roulaient à 20 km/h dans les faux plats montants, des gens en forme évidemment, mais ce qui m'impressionnait le plus, c'était... le vélo. Pas le leur en particulier, le vélo dans son principe universel, originel, un guidon, deux roues, dont une motrice entraînée par un pédalier... quelle formidable, quelle merveilleuse machine!