Quand j'étais petit, mon meilleur ami avait été choisi, sans doute grâce à sa tignasse bouclée, pour jouer le rôle du petit Saint-Jean Baptiste sur le char allégorique de la parade du 24 juin. À l'époque, c'était quelque chose.

C'était il y a longtemps. Mais même si le gouvernement a décrété il y a 36 ans que le 24 juin s'appellerait officiellement la Fête nationale du Québec, tout le monde fête encore la Saint-Jean. Et on continue, dans le fond, à célébrer la fête du Précurseur, saint patron des Canadiens français. Et on continue un peu partout au Québec à allumer des feux à la Saint-Jean, une vieille tradition païenne de célébration du solstice d'été que les chrétiens ont transformé en fête religieuse.

Tout ça pour dire que le passé ne s'efface pas d'un coup de baguette bureaucratique. Et que les racines religieuses de la société québécoise sont toujours présentes même si les Québécois francophones ont délaissé l'Église catholique et refusé de se soumettre à son autorité.

Cette ambivalence, on la retrouve dans le débat sur le port du turban au soccer. D'un côté, l'opposition forte chez les francophones au turban s'explique en partie par leur malaise devant une orthodoxie religieuse qu'ils ont rejetée pour eux-mêmes. Mais de l'autre, elle exprime aussi l'agacement devant des symboles religieux autres que ceux du catholicisme, une crainte envers des religions d'ailleurs qui pourrait menacer l'identité québécoise.

Cette double réaction crée une convergence entre des courants modernes, laïques, qui souhaitent la réduction des manifestations religieuses dans l'espace public, et des courants traditionalistes, ethnocentriques, plus attachés à la tradition catholique. Cette rencontre contre nature contribue à expliquer la très forte opposition au turban, 63% des répondants à notre sondage CROP d'hier.

En appuyant très clairement la décision très malheureuse de la Fédération québécoise de soccer, la première ministre Marois a certainement trouvé un filon rentable. Elle peut jouer sur deux tableaux, défendre des valeurs laïques dites de gauche, tout en surfant sur les courants d'intolérance qui ont assuré le succès de l'ADQ. C'est un choix opportuniste lourd de conséquences, car Mme Marois donne du même coup une caution morale aux sentiments anti-immigration qui se sont aussi exprimés dans le débat sur le turban.

Elle rompt avec une tradition de son propre parti qui a toujours été extrêmement soucieux de combattre les franges réactionnaires du mouvement souverainiste et les réflexes ethnocentristes que le nationalisme peut alimenter.

Il est vrai que ce débat met aussi en relief des différences de valeurs entre le Québec et le reste du Canada. Ces différences sont réelles, mais moins importantes qu'il n'y paraît. Le multiculturalisme est devenu une valeur identitaire canadienne - d'où l'appui sans réserve au turban - tandis que le concept même suscite des résistances au Québec, notamment parce que l'invention du multiculturalisme avait aussi pour objectif de diluer l'essence binationale du pays.

Mais au-delà des mythes identitaires, le multiculturalisme enthousiaste du Canada masque le fait qu'on y cherche activement à intégrer ses immigrants, et l'opposition indignée du Québec masque le fait que le modèle québécois - la commission Bouchard-Taylor parlait d'interculturalisme - est infiniment plus proche de celui du Canada que de celui des pays européens.

Une chance que Québec solidaire est là pour nous rappeler que l'on peut être souverainiste sans céder aux réflexes d'intolérance. Sa porte-parole Françoise David, au nom de l'ouverture et du sens commun, disait ce qu'il fallait dire: «L'été est à nos portes, laissons jouer les enfants», et «pour avoir un débat serein et constructif, au-dessus de la mêlée, il faudra que les partis n'instrumentalisent pas ces questions sensibles pour des raisons partisanes ou électoralistes». Voilà un beau souhait pour la Saint-Jean.