Il y a de cela déjà un moment, j'allais ponctuellement dîner toujours dans le même resto de Granby avec Pierre, un de mes amis et ex-collègue qui souffrait de deux ou trois cancers et qui, néanmoins, a mis plus d'un an et demi à mourir à partir du moment où il a pris la décision de refuser la cavalerie des grands soins.

Nos repas n'étaient pas tristes, ses cancers de l'empêchaient pas de rire en évoquant les grandes passions de sa vie, le travail, la boxe, les femmes - peut-être pas dans cet ordre. Il m'arrivait de perdre le fil de notre conversation pour me demander silencieusement: mais comment il fait? Un jour cela m'avait échappé:

Comment tu fais? C'est quoi, ton secret? Des pilules? T'as rencontré Dieu?

Mon secret, c'est mon médecin, m'avait-il alors confié. Mon médecin m'a tout bien expliqué ce qui allait m'arriver, les étapes que j'allais franchir. Il me reste environ un an, dans quelques mois je serai confiné à la maison, puis ça ira vite. Ma sérénité (relative) tient à deux promesses que m'a faites mon médecin. La première, juré, craché, je ne souffrirai pas. La seconde, le moment venu, cela ira très vite.

La dernière fois que j'ai vu Pierre vivant, c'était à une soirée de boxe chez lui, un combat de Manny Pacquiao sur son grand écran. Il se déplaçait difficilement, mais ne souffrait pas. On a passé une belle soirée. À un moment donné, Pierre a laissé tomber qu'il ne serait pas là pour le prochain combat de Pacquiao, cela dit sans trémolos, un constat plus qu'un regret.

Il est mort quelques semaines plus tard, à l'hôpital de Granby où on venait de le transporter. Cela a été effectivement très, très vite, confirment ses proches.

Je pense beaucoup à Pierre en ces jours de débat sur les soins de fin de vie, ce projet de loi 52 qui, je l'espère, officialisera l'aide médicale à mourir.

Je dis officialisera parce qu'elle existe déjà, mon ami Pierre en est la preuve pas vivante, si j'ose dire. Une preuve parmi des milliers et des milliers d'autres. La chose se pratique couramment, normalement, naturellement, en toute humanité avec le consentement du mourant, de la famille. La plupart du temps, sans grand discours ni conseil de famille. Ne le laissez pas souffrir pour rien, docteur.

Cela se fait. Qu'est-ce qui se fait? Je ne sais pas exactement. On me dit que l'overdose de morphine qui emporte le coeur est une légende urbaine. Mais quelque chose précipite la fin, de cela je suis certain. L'avance-t-on de quelques heures? Une semaine? Un mois? Deux? Est-ce bien important? Le projet de loi parle de «sédation palliative terminale». Je trouve qu'on donne un peu, ici, dans la pompe funèbre. Je n'imagine pas mon ami Pierre réclamer à son médecin la «sédation terminale». Il a dû dire ce que je dirai au mien si je peux encore parler: envoye la dose, doc...

Mais alors, si cela se fait déjà, on projette une loi inutile?

Pas inutile, mais surtout utile pour les gens atteints d'une maladie dégénérative qui ne sont justement pas en fin de vie, qui ne mourront pas avant plusieurs années et qui ne supportent plus de vivre dans la souffrance et la totale dépendance.

La loi autorisera ceux-là à recourir en toute légalité à une aide médicale pour mourir. J'en entends, des médecins surtout, qui s'effarent: l'aide médicale à mourir est un euphémisme pour euthanasie. Et alors? Pourquoi l'euthanasie consciemment demandée ne serait-elle pas une digne issue à une vie de souffrance? Je ne comprends pas pourquoi dans ce débat on oppose euthanasie à soins palliatifs. Je la pogne vraiment pas. J'ose pas la pogner, en fait. Vous voulez dire qu'au lieu de soins palliatifs, avec la loi, on glisserait subrepticement au plus expéditif? Couic? Come on!

Qu'y a-t-il de croche à aider à mourir quelqu'un qui veut mourir parce que sa vie n'en est plus une? Ou comme mon ami Pierre qui est arrivé au bout de ses deux cancers deux mois de plus pour quoi faire au juste? Pour expier ses fautes? Si c'est là votre idée, Seigneur, pour celui-là, 10 ans d'une lente agonie n'eussent pas suffi.

J'applaudirai très fort à cette loi, mais je suis tout de même troublé par deux choses, la seconde étant l'envers de la première.

Troublé, donc, par le fait que les gens atteints de la maladie d'Alzheimer ne pourront recevoir cette aide à mourir faute de pouvoir s'en prévaloir en toute lucidité. S'il est des malades dont la vie n'a plus aucun sens, c'est pourtant bien ceux-là.

Mais troublé aussi par le fait qu'une personne sur cinq sera bientôt atteinte de la maladie d'Alzheimer. Finalement, une chance qu'ils ne peuvent pas se prévaloir de l'aide à mourir. Il faudrait aménager un petit abattoir à côté de chaque CHSLD.

(Je sais, c'est pas drôle, c'est toujours ce qui me fait rire.)

PÉPÈRE LA VIRGULE - En français, on se souvient DE quelque chose, mais on se rappelle quelque chose, sans la préposition DE. Je ne me souviens plus de votre nom, mais je ne me rappelle plus votre nom.

Cette faute très commune s'accompagne en toute logique d'une faute de pronom relatif, c'est ainsi que neuf fois sur dix, on entendra ce DONT je me rappelle au lieu de ce QUE je me rappelle.

Je m'excuse pour la leçon, mais elle ne s'adresse pas vraiment à vous. Je sais que vos indignations se limitent à relever les anglicismes dans le discours des Français de France et les mauvaises traductions des modes d'emploi de rotoculteurs.

La leçon s'adresse ici à madame Marie Malavoy, qui signe un texte dans le dépliant officiel de la prochaine Fête nationale. Dans ce texte, Mme Malavoy nous promet justement une Fête nationale DONT tout le monde se rappellera.

QUE tout le monde se rappellera, madame, QUE.

Vous n'êtes pas ministre de l'Éducation, vous?