Si la situation n'était pas aussi lourde de possibles conséquences, la chose serait presque comique tant elle rappelle la supplique de l'ex-maire d'une ville jadis assiégée par les carrés rouges. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a en effet demandé «aux pères et aux mères de reprendre en main (leurs) enfants et de les éloigner de là», faisant référence à la place Taksim et à la vague de contestation qui secoue la Turquie...

Cependant, toute comparaison s'arrête là.

Cette vague née sous un thème unique, celui de la préservation d'un parc urbain, s'est ensuite gonflée d'une préoccupation beaucoup plus fondamentale pour la Turquie et, peut-être, pour le monde. À savoir: ce qui est perçu à juste titre comme la dérive autoritaire et islamisante du pouvoir. «Ce sont les arbres qui cachaient la forêt du ras-le-bol», illustre une manifestante (dans Libération).

Hier, le premier ministre a fait des concessions relatives au conflit initial sur l'avenir du parc Gezi d'Istanbul. Il a suspendu le projet de développement (d'un centre commercial, d'une caserne à tradition ottomane, d'une mosquée) jusqu'à ce que les tribunaux, déjà saisis de l'affaire, se prononcent. Et il a promis un référendum. Mais, en même temps, on apprenait que son gouvernement a lancé une enquête sur les médecins qui ont collaboré avec les manifestants en soignant les blessés - il y en aurait eu plus de 7000, sans parler de quatre morts. Ce qui ressemble fort à de l'intimidation.

Erdogan peut-il s'en tirer en cédant sur un point précis, à portée somme toute limitée, tout en maintenant le cheminement d'un régime de plus en plus «fort» ?

C'est probable.

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Jusqu'où ira-t-il ensuite si rien ne l'en empêche?

Ce qui est certain, c'est que le premier ministre a depuis quelques années retrouvé ses convictions islamistes et gouverné en conséquence le seul pays musulman ancré dans la laïcité depuis presque un siècle. Or, passé un certain cap, «on ne peut plus empêcher la religion d'aller au bout de sa logique», prévient Franz-Olivier Giesbert (dans Le Point). La tentation théocratique est réelle.

Déjà, l'État encadre officiellement les «affaires religieuses», plante des mosquées et des lieux de prière, embauche des imams, réprime la vente d'alcool (et les baisers dans le métro!), entend réduire l'accès à l'avortement, resserre l'étau autour des femmes et des minorités religieuses, emprisonne des journalistes et des militants.

C'est une grande déception.

Démocratique, laïque et en bonne santé économique, la Turquie allait demeurer un phare, croyait-on, dans le brouillard généré par les «printemps» vécus dans le monde arabo-musulman. Ces printemps qui, au bout du compte, ont plutôt participé à la montée de l'islamisme en Orient ainsi qu'en Afrique du Nord et de l'Est.

Bref, après l'Égypte ou la Libye, la Turquie devient à son tour un point d'interrogation.