La nouvelle était à la base ridicule: interdire aux jeunes coiffés d'un turban de jouer au «foot» dans une ligue régie par la Fédération de soccer du Québec (FSQ). La seule fédération de ce sport de participation par excellence à imposer pareille interdiction au pays.

De ridicule, cette nouvelle est devenue absurde lorsque, dans sa très grande sagesse, Brigitte Frot, directrice générale de la FSQ, a invoqué des questions de sécurité pour justifier l'interdiction, tout en reconnaissant qu'elle n'avait pas la moindre idée si le port du turban était responsable de blessures subies au cours des dernières années sur les terrains de soccer québécois.

Ah, bon!

Mme Frot aurait pu se contenter de l'absurde. Mais non! Pourquoi s'arrêter en si bon chemin quand on peut compléter la trifecta de l'insignifiance administrative? Ce que la directrice générale de la FSQ s'est assurée de faire avec brio en déclarant que les jeunes touchés par cette mesure administrative préventive n'avaient «qu'à aller jouer dans leur cour» s'ils tenaient vraiment à jouer au soccer.

Pourquoi ne pas les inviter à aller jouer chez le diable, tant qu'à y être!

Rire ou pleurer

Si cette remarque de Brigitte Frot n'était pas aussi lourde de conséquences, il faudrait en rire. Rire de bon coeur comme j'ai ri en voyant la caricature de Chapleau qui, dans son génie sans limites, a lié cette interdiction au risque de camouflage du ballon sous un turban.

Sauf qu'il n'y a rien de drôle dans cette position de la FSQ. Il est même désolant de constater qu'au lieu de se rendre compte de la grossièreté de leur position, une directrice générale et ses sbires - je salue ici la ou les personnes qui ont osé voter contre cette décision majoritaire, mais non unanime - ont défilé une litanie de raisons pour tenter de se justifier.

Des raisons qui défient l'entendement. À commencer par la sécurité.

Avant chaque match de soccer, les garçons et les filles défilent devant l'arbitre pour prouver qu'ils portent tous des protecteurs de tibias et que les crampons de leurs souliers sont légaux. On ne voudrait pas voir un joueur de soccer sauter sur le terrain avec des crampons de baseball en acier. Ça, ça serait dangereux.

Une fois les pieds et les tibias vérifiés, les arbitres s'assurent que les chaînes et autres pendentifs restent sur les lignes de côté et non au cou des joueurs. Car ça aussi, ça pourrait être dangereux.

Quoi faire avec un turban?

Après l'avoir tâté pour être certain qu'on n'y avait pas caché un ballon - merci, Chapleau! - ou une enclume qui pourrait servir à sonner l'adversaire avec un coup de tête bien placé dans la zone de réparation, on dit au garçon qui le porte: vas-y et amuse-toi. Car il n'y a rien d'autre d'intelligent à dire.

Dangereux, le turban? La directrice générale de la FQS admet elle-même qu'elle ne le sait pas. Et quand on y pense bien, le damné turban pourrait même offrir une protection en cas de collision. Sans oublier qu'il permet de garder bien en place les cheveux longs, voire très longs, de celui qui le porte. Le turban serait d'ailleurs bien plus efficace que les queues de cheval et autres tresses visant à contenir les longues crinières qui, autrement, voleraient au vent.

Mais non! Parce que ça pourrait être dangereux, on interdit le turban et on confine ceux qui le portent à leur cour. Comme s'ils étaient des parias.

Terrains minés

S'ils tiennent vraiment à assurer la sécurité des jeunes joueurs et joueuses de soccer qu'ils supervisent, Brigitte Frot et ses apôtres devraient sortir de leurs bureaux climatisés de temps en temps. Ils devraient se rendre sur les terrains minés de trous sur lesquels sont trop souvent confinés les jeunes, qui y jouent à leurs risques et périls. S'ils se soucient vraiment du bien-être des jeunes, qu'ils profitent de ces visites pour remplir ou faire remplir ces trous afin de réduire, à défaut de les annuler, les risques de foulures - qui font bien plus de ravages chaque soir de match qu'un théorique coup de turban.

Une fois les trous colmatés, la FSQ pourrait aussi s'assurer qu'on tonde le gazon des terrains de temps en temps. Un semblant d'entretien permettrait aux jeunes de localiser le ballon plus facilement. D'arriver à le faire avancer, au lieu de passer par-dessus lorsqu'il s'arrête net dans un gazon tellement long qu'il devient semblable à du velcro. Sans oublier qu'un gazon coupé de temps en temps permettrait aux parents installés sur les lignes de côté de retracer leurs petits sans avoir recours à un GPS.

Je sais: je rêve. Pourquoi demander à des bureaucrates en mal de procédures administratives nécessaires à leur survie de se lancer dans une utile chasse aux pissenlits quand il est bien plus facile de se lancer dans une bien inutile chasse au turban?