L'histoire récente du Pakistan pourrait se décliner en deux noms. D'abord, celui d'Oussama ben Laden, le terroriste assassiné par un commando américain en mai 2011, après 10 ans de traque.

L'instigateur des attentats du 11 septembre 2001 ne se terrait pas dans quelque grotte inaccessible, mais dans une maison cossue d'Abbottabad, ville de 150 000 habitants, à une centaine de kilomètres de la capitale pakistanaise.

Difficile d'imaginer que le chef d'Al-Qaïda ait pu ériger sa forteresse sans bénéficier de quelques complicités au Pakistan - pays qui, officiellement, soutient les États-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. Ce qui ne l'a pas empêché d'être furieux après cette violation de son territoire...

L'autre nom est celui de Malala Yousufzai, l'adolescente qui a mené une bataille courageuse pour l'éducation des filles, quand les talibans imposaient leurs lois implacables sur la vallée de Swat.

L'armée pakistanaise a fini par reprendre le contrôle de cette région du nord du Pakistan. Mais les talibans n'avaient pas dit leur dernier mot. L'automne dernier, ils ont tenté d'assassiner Malala. La fillette a survécu par miracle. Elle est devenue le symbole de l'opposition aux extrémistes qui cherchent à étendre leur influence au Pakistan.

Relations troubles avec les États-Unis. Insurrection islamiste qui déchire le Pakistan depuis une décennie. Ces deux réalités ont teinté les élections législatives de samedi dernier, au cours desquelles les Pakistanais ont voté massivement, malgré la violence.

Plus d'une centaine de personnes, surtout des militants politiques, ont été tuées dans les semaines précédant le vote. Le 9 mai, des hommes armés ont kidnappé le fils de l'ex-premier ministre Youssouf Raza Gilani. Il n'a pas été retrouvé depuis. Sans oublier les attentats en cascade qui ont marqué le jour du vote, ajoutant quelques dizaines de morts à ce bilan déjà lourd.

Et pourtant, au Pakistan, ces élections sont considérées comme un succès. Il faut dire que les talibans avaient menacé de mort tous ceux qui se rendraient aux urnes. Avec un taux de participation de 60%, le message est clair: la majorité des Pakistanais tiennent à la démocratie, au point d'être prêts à risquer leur vie pour voter.

«Les électeurs se sont montrés très courageux et très matures», se réjouit Murtaza Haider, politologue pakistanais qui enseigne à l'Université Ryerson, à Toronto, et signe une chronique dans le journal pakistanais Dawn.

Dans ce pays habitué aux coups d'État - il y en a eu quatre depuis sa fondation, en 1947 -, les élections de samedi marquent un autre tournant positif. Pour la première fois, un gouvernement démocratiquement élu cède pacifiquement le pouvoir à l'issue d'une nouvelle élection. Là aussi, la démocratie a marqué un point.

Le vote a été marqué par la débandade du Parti du peuple pakistanais, la formation de la famille Bhutto qui a fait des allers et retours au pouvoir depuis trois générations. Et par la victoire de la Ligue musulmane du Pakistan, de Nawaz Sharif, un revenant qui a été deux fois premier ministre dans les années 90.

Mais le vrai phénomène de ces élections, c'est Imran Khan, la star du cricket que Murtaza Haider décrit comme «le Maurice Richard du Pakistan». Son Parti de la justice s'impose comme la troisième force du pays. Et il pourrait même devenir le prochain chef de l'opposition.

Or, Imran Khan rejoint le vieux «tigre», Nawaz Sharif, sur les deux grands enjeux de ces élections. Il s'oppose aux ingérences militaires américaines en territoire pakistanais. Et il est ouvert au dialogue avec les talibans, qui maintiennent une partie du pays dans un climat de quasi-guerre civile depuis 2004.

C'est pour les combattre que Washington a mis au point son programme de drones, qui a fait entre 2000 et 4000 morts. Combien de talibans parmi les victimes? Combien de civils? Impossible à savoir. Ce qui est clair, c'est que les électeurs ont rejeté cette violation de la souveraineté de leur pays.

Selon Murtaza Haider, ce sont d'ailleurs des documents coulés par WikiLeaks, et démontrant l'appui discret d'Islamabad au programme de drones, qui ont brutalement éloigné l'électorat pakistanais du parti du clan Bhutto.

Les nouveaux dirigeants de ce pays aussi stratégique que chaotique vont-ils vraiment affronter Washington? Comment la toute-puissante armée pakistanaise réagira-t-elle, le cas échéant? Et les talibans? Accepteront-ils de ranger les armes? Et si oui, à quelles conditions?

On le voit, le Pakistan n'est pas sorti du bois. Mais en attendant, la démocratie vient d'y remporter une jolie victoire. Et c'est une bonne nouvelle, en provenance d'un pays qui n'en fournit pas souvent.