Les optimistes y verront une victoire de la démocratie. Reportant Nawaz Sharif au pouvoir (il a été deux fois premier ministre), les Pakistanais ont entrepris la transition entre deux gouvernements dûment élus. C'est une première dans un pays où, depuis sa fondation en 1947, le coup d'État a été le mode ordinaire de passation des pouvoirs.

Cependant, les pessimistes auront peine à se réjouir. Le Pakistan est en très mauvais état, en effet, fragilisé par la fureur religieuse, l'omnipotence (pour l'instant discrète) de son armée, la mauvaise gouvernance, le marasme économique, la méfiance croissante de la communauté internationale.

Et il n'est pas sûr que Sharif pourra y faire quoi que ce soit.

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Samedi, environ 60% des 86 millions d'électeurs inscrits se sont rendus aux urnes afin de composer une nouvelle assemblée législative. Le parti de Sharif, la Ligue musulmane pakistanaise, a obtenu une pluralité des sièges (le décompte définitif n'était pas connu, hier).

Pour aller voter, beaucoup de Pakistanais ont dû faire taire leurs doutes. Seulement 23% des moins de 30 ans croient en effet que la démocratie est bénéfique pour le pays. Et 70% préféreraient être gouvernés par la charia ou par les militaires (sondage: British Council Pakistan, 2013).

En outre, ils ont dû manifester du courage: 20 000 des 73 000 bureaux de scrutin étaient considérés comme des lieux dangereux, la campagne électorale ayant été entachée par la violence et les menaces des talibans. De fait, samedi, au moins 24 personnes ont été tuées.

Cela met à vif la plaie la plus douloureuse pour le pays: la montée spectaculaire de la violence, surtout religieuse.

Depuis 2008, plus de 17 000 Pakistanais ont été tués par la terreur, un carnage dont la figure emblématique est une adolescente, Malala Yousufzai, ciblée parce qu'elle défendait le droit à l'éducation pour les filles. Dans cette foulée, il existe dorénavant au Pakistan 10 000 écoles coraniques. «Les organisations islamistes finissent par s'imposer comme des mini-États dans l'État», écrit Le Monde. Aucun candidat majeur aux élections n'a osé s'en prendre aux fous de dieu et autres chefs de guerre. On ignore à quel point Nawaz Sharif lui-même s'est secrètement compromis.

Tout cela annonce un futur incertain.

La principale question est de savoir quel type de relations le Pakistan entretiendra désormais avec l'Amérique. Et quelle sera sa position par rapport à la terreur. Parions sur un mot: ambiguïté. C'est l'attitude qui a fait ses preuves pour concilier les inconciliables. L'aide massive des États-Unis et l'orgueil national pakistanais. Les drones utilisés par la CIA et le souci d'une relative paix intérieure. Les deux faces de l'armée et des services secrets...

Quoi qu'il en soit, le cheminement démocratique du Pakistan est aujourd'hui admirable. C'est une base sur laquelle le pays peut construire. Peut-être.