Pourquoi a-t-on l'impression que la gauche vit dans un monde parallèle où, par exemple, un parti politique estime logique de ne pas chercher à accéder au pouvoir? Et où la contestation de rue s'invente un environnement totalitaire au sein duquel elle ne peut avoir qu'un rôle de victime impuissante?

Ce qui unit la gauche politique et la gauche manifestante, c'est l'amour du cul-de-sac, dirait-on, c'est la manufacture du renoncement.

Ainsi, réunis en congrès, les militants de Québec solidaire se sont arc-boutés sur une ligne dure qui, dans la vraie vie, ne peut en aucun cas permettre au parti d'améliorer sensiblement son bulletin électoral (6% des voix aux dernières élections).

Le nouveau co-porte-parole, Andrés Fontecilla, a été très clair: il renonce à prendre des «raccourcis visant à obtenir davantage de sièges à l'Assemblée nationale». Pas question non plus d'un rapprochement avec le Parti québécois ou Option nationale, respectivement coupables de visées néolibérales et de tiédeur idéologique. Enfin, pas question de se compromettre comme l'a fait le Nouveau parti démocratique en éjectant le mot «socialisme» parce qu'il se perçoit dorénavant comme un parti de pouvoir.

La rue, elle, après avoir gagné la bataille des droits de scolarité et s'être libérée des libéraux, s'enferme désormais dans une fiction révolutionnaire caractérisée par deux choses. Un, le renoncement à tout objectif viable - non, la fin du capitalisme n'en est pas un. Deux, le recentrage de toute son énergie et la dilapidation de son capital de sympathie dans des affrontements à répétition, dépourvus de sens, avec la police.

Les derniers écrits de l'ASSÉ, le syndicat étudiant radical qui a fait la pluie et le beau temps, sont consignés dans le document Répression, discrimination et grève étudiante (cosigné par la Ligue des droits et libertés ainsi que par l'Association des juristes progressistes). Or, à l'exclusion de quoi que ce soit d'autre, il s'agit d'une sorte de... rapport de police, mais à l'envers, notamment constitué de témoignages prévisibles de victimes impuissantes.

Ensuite? Ensuite, rien, sinon d'autres affrontements avec la police, probablement, jusqu'à écoeurement des troupes.

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Il existe une logique dans le renoncement à la lutte pour le pouvoir ou dans l'agitation de rue gratuite.

Un courant de pensée veut que la gauche - on parle de la gauche fortement décentrée - ne soit pas faite pour le pouvoir. Que sa raison d'exister, sa compétence, sa puissance, se trouvent dans une éternelle opposition, là où sa noblesse morale peut demeurer inviolée. De même, on soutient que l'agitation de rue gratuite ne l'est pas tout à fait: elle sert à tenir le «système» dans l'insécurité et à garder vivante la flamme de la rébellion. Et cela dans quel but, au juste? Ce n'est pas clair.

Les mondes parallèles sont souvent étonnants.