Il paraît que, dans son dos, on appelle Bernard Émond «Le curé». Peut-être parce qu'il a fait des films sur les vertus théologales (comme La neuvaine), plus probablement pour la rigueur de son engagement culturel. Bref, j'avais moins aimé ses derniers sermons et je ne me dépêchais pas de louer le tout dernier (Tout ce que tu possèdes), surtout que la critique était couci-couça.

Eh bien, la critique s'est trompée.

Tout ce que tu possèdes est le plus beau film d'Émond. Pas prêchi-prêcha une seconde. C'est faussement l'histoire d'un fils qui refuse les 50 millions d'héritage que lui laisse son père, homme d'affaires plus ou moins véreux. En fait, c'est l'histoire d'un intellectuel, chargé de cours de littérature, qui se coupe du monde et se débarrasse de ses livres tout en continuant de traduire un poète polonais qui a lui-même traduit Miron.

À la librairie d'occasion où il va porter ses caisses de livres, il est repéré par une ado qui se révélera être sa fille.

Un film littéraire dans lequel la poésie tient lieu de ponctuation, de respiration donc. Juste comme on va manquer d'air arrive ce Stachura - le poète en question -, lyrique bien sûr, il n'est pas polonais pour rien: «Tout ce que tu possèdes tu le perdras un jour, mais tu le perdras dans la joie»...

C'est un film littéraire qui montre la ville de Québec comme je ne l'avais encore jamais vue, et des paysages comme on n'en voit presque jamais au cinéma parce que le cinéma transforme tout en carte postale. Dans ce film littéraire, les paysages aussi sont littéraires, ils ont l'air de sortir tout droit des Carnets du grand chemin, de Julien Gracq.

De loin le plus beau film que j'ai loué cette année.

LE DÉSESPOIR - La première nouvelle raconte l'histoire d'un type qui est dresseur-montreur d'otaries et d'orques dans un Marineworld. L'orque avec laquelle il présente son numéro lui bouffe une jambe. Une nuit, il se débarrasse de sa jambe artificielle, retourne au Marineworld désert refaire son numéro avec l'orque. C'est clairement un suicide.

La deuxième nouvelle raconte l'histoire d'un boxeur qui a un fils de 5 ans, Jake. Un jour, ils vont jouer sur un lac gelé, la glace craque, Jake est en train de se noyer, le père casse la glace à coups de poing, sort son fils de l'eau. Quand l'histoire se termine, Jake a 20 ans, il est dans le coma depuis 15 ans. Le père est toujours boxeur.

Ces deux histoires se trouvent dans un livre de nouvelles de Craig Davidson, un auteur canadien, sous le titre de: Un goût de rouille et d'os.

Mais ces deux mêmes histoires, regroupées en une seule, forment aussi le scénario du film de Jacques Audiard, De rouille et d'os. Le dresseur-montreur y est devenu une fille qui tombe amoureuse du boxeur dont le fils sortira indemne du lac.

De rouille et d'os est un bon film, sauf les 10 dernières minutes, proprement scandaleuses. Pourquoi cette fin bonbon? Pourquoi ça finit par tout le monde il est gentil, tout le monde il est guéri, ils se marieront et auront beaucoup d'autres enfants qui joueront avec la jambe de bois de maman mais qui n'iront pas jouer sur les lacs gelés?

Craig Davidson écrit sur le désespoir. C'est son combustible, le désespoir. Il n'écrit pas pour Hollywood. Davidson, Donald Ray Pollock, Chuck Palahniuk, Ben Fountain, la plupart des jeunes auteurs nord-américains écrivent pour nous, les derniers fous de fiction, les désespérés romantiques.

Ne touchez pas à notre amertume. Elle nous tient chaud. Quand on veut aller à Hollywood, on connaît le chemin. On prend le dernier Tarantino express. C'est quoi, déjà, sa dernière merde? Ah oui: Django. Oscar du meilleur scénario. Franchement.

CHRONIQUES D'UN COUREUR - J'ai ouvert son livre n'importe où en me disant O.K., je vais faire comme si je ne le connaissais pas. Yves Boisvert? C'est qui, déjà?

Sauf que je suis tombé sur du pur Yves Boisvert. Ça ne pouvait absolument pas être quelqu'un d'autre. Je suis tombé sur la meilleure chronique du livre, intitulée Le fils, dans laquelle Yves va courir avec son fils de 16 ans sur le mont Shefford. Yves n'est jamais aussi bon que lorsqu'il parle de ses enfants. Le fils gambade tout en faisant la leçon à son père: tu cours mal parce que tu te tiens mal, et commence donc par attacher tes souliers comme du monde, pourquoi tu ne fais pas un double noeud?

À la fin, le fils ne se doutera pas du merveilleux cadeau qu'il vient de faire à son père. Nous, on le sait depuis la première ligne: «C'était mon anniversaire qui tombe encore obstinément en hiver malgré les changements climatiques.»

Du pur Boisvert, disais-je. Petites leçons de course qui servent de support à de petites leçons de vie, oh! à peine appuyées, en fait pas appuyées du tout. Si Yves Boisvert court lourdement - c'est son fils qui le dit -, il écrit légèrement.

À lire même si on n'est pas coureur. D'ailleurs, ce n'est pas un livre sur l'art de courir, c'est un livre sur l'art d'écrire en effleurant à peine le sol.

PAS, chroniques et récits d'un coureur, Yves Boisvert, aux Éditions La Presse. La préface - ne la sautez surtout pas - est de Marc Labrèche.

PÉPÈRE LA DJELLABA - Les 18 Arabes qui lisent cette chronique régulièrement m'ont tous menacé d'une fatwa si je ne m'excusais pas d'avoir massacré le nom de leur grand poète, Abou el Moutanabi, que j'aurais appelé Moutabani. Avec mes excuses, donc, ce petit extrait d'un poème de Moutanabi: Allah Allah oued/sidi bel abbès couscous cacahouète/Allah Allah oued/moi jamais malade/moi jamais mourir.