Tiens, je suis revenu le jour où, dans la page Débats de notre journal, y'avait ce type de Gatineau qui disait qu'il était très content que l'hiver continue au mois d'avril, très content d'habiter un pays nordique qui a tant à offrir avec ses quatre saisons bien définies...

Quatre saisons bien définies? Ah oui? C'est quand, le printemps?

Qu'avait-il tant à offrir, dimanche dernier, notre si formidable pays nordique? Trois pulls sous mon polar, j'ai gelé comme un rat, 60 kilomètres de pédale, zéro fun.

Je disais, je suis revenu ce jour-là et j'ai failli repartir aussitôt.

Pour où?

Paris. Sauf que j'en arrivais et c'était l'hiver aussi à Paris.

Un des plaisirs d'aller en Irak est, au retour, d'arrêter deux jours à Paris et d'y courir les librairies, les confituriers et les marchands d'eaux-de-vie. Aussi d'y arpenter mon quartier à deux pas de la gare du Nord, mon marché Saint-Quentin, mon église Saint-Vincent-de-Paul, ma rue du Faubourg Poissonnière, le café de la place Franz-Liszt où je vais lire Le Monde, juste après être allé me chercher deux brioches-à-tête à la boulangerie voisine...

Rien de tout cela cette fois-ci, Paris était plein comme un oeuf, le salon du livre, le match France-Espagne, pas une chambre et Dieu sait que je ne suis pas difficile sur les chambres, la dernière qui reste au cinquième étage d'un hôtel pas d'étoile, pas d'ascenseur, les toilettes dans le couloir, cela me va très bien, mais même une chambre comme celle-là, y'avait pas.

Je me suis retrouvé dans un Formule1, porte de Châtillon, à deux pas du périphérique. Vous êtes déjà allé dans un Formule1? C'est 400 chambres, 400 cubicules plutôt, 49 euros la nuit, un lit, un lavabo, la télé et rien d'autre. Monacal, sauf que tu ne te sens pas comme un moine dans sa cellule, tu te sens comme un tout-nu qui n'a pas assez d'argent pour se payer un vrai hôtel.

Quand même. Il y a des trucs amusants dans les Formule1. Par exemple, les toilettes (dans le couloir), tu cherches la clenche ou le bouton pour la chasse: ni bouton ni clenche. Tu tires le verrou pour sortir, ah ben voilà, c'était ça! La trombe! Dans les 400 cubicules, y savent en temps réel que quelqu'un vient d'aller chier au cinquième. C'est le verrou qui déclenche la chasse, fallait y penser, quand même. C'est comme lorsque tu lis Nietzsche, des fois c'est tellement tordu que tu relis deux ou trois fois pour être sûr. J'ai tiré et repoussé le verrou deux ou trois fois pour être sûr, c'était bien le verrou, la trombe chaque fois! Le siphonnage géant, Niagara sur le périph. Un gardien est arrivé, avec un gros accent de Barbès, il m'a dit: ça t'amuse?

Pardon?

J'ti d'mandi si ça t'amuse?

Ah si ça m'amuse? Bof, moyen.

Ma chambre donnait sur l'immense cimetière de Montrouge - où est enterré Coluche -, en fait, l'hôtel semble avoir été construit dans le cimetière: les tombes s'avancent jusque sous les fenêtres, y'a qu'à sauter.

Il pleuvait à Paris. Il ventait. La neige était pas loin. Dans ce coin-là, les rues ont des noms pas sympathiques, comme le boulevard Brune ou le square du Serment-de-Koufra. J'ai marché en grelottant jusqu'à Alésia, de là j'ai remonté l'avenue du Maine sans me douter que j'allais arriver... au cimetière du Montparnasse! C'est pas que je croie aux signes, mais cout'donc, je pars d'un cimetière pour arriver à un autre, deux cimetières coup sur coup, quelqu'un voudrait-il me dire quelque chose?

Je ne suis allé ni sur la tombe de Gainsbourg, ni sur celle de Noiret, de Sartre, de Duras, tous au Montparnasse. J'ai seulement cherché (sans la trouver) celle de Baudelaire.

La très chair était nue, mais non, nono, la très chère était nue.

C'est Baudelaire qui disait: Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, de poésie jamais... C'est bien la preuve que les poètes disent n'importe quoi. La plupart des gens bien portants que je connais se passent de poésie toute leur vie et, à la réflexion, la plupart de ceux qui sont malades aussi.

Finalement, je n'ai pas détesté le Paris du périph, j'y ai fait mes affaires comme d'habitude - les mêmes librairies, les deux mêmes confituriers, les mêmes bougnats pour les eaux-de-vie - et il n'est pas dit que je ne retournerai pas au Formule1, 49 euros quand même, et puis on est assuré de n'y faire aucune mauvaise rencontre, je veux dire pas d'artistes, pas d'hommes d'affaires, pas de grands reporters, pas d'épicières de province embijoutées, que des étudiants, des travailleurs que leur employeur loge là pour la semaine et quelques touristes moldaves désargentés.

Et puis, comme les douches aussi sont dans le couloir, on y voit parfois trotter, dans ces couloirs, des jeunes gens juste une serviette nouée à la taille, celui-là l'avait mal nouée, oups elle est tombée, la Moldavie est parfois bien altière.

PORTE C21 - Le nouveau terminal d'Air France à Charles-de-Gaulle est totalement désespérant, on se croirait chez Holt Renfrew, cout'donc, je ne devais pas prendre l'avion ce matin? Qu'est-ce que je fais ici à papouiller des p'tits foulards Gucci? La serveuse de la pâtisserie Ladurée se la joue grand palace même si sa brioche est presque boulangère, et le beurre, madame, et le beurre? C'est pas juste pour danser le tango, le beurre.

Je vous ai raconté le minou à Bagdad. Il y en avait un aussi à Charles-de-Gaulle. Dans une cage aux pieds de sa maîtresse. Il venait de Niamey, où la dame venait de finir un contrat à la délégation des Nations unies dans la capitale du Niger. Il s'en allait à Ottawa. S'appelle Chomsky. Il avait suivi la dame dans la rue le premier jour qu'elle était arrivée à Niamey il y a deux ans. Ils ne s'étaient plus quittés.

J'ai parlé un peu d'Ottawa à Chomsky à travers la grille de sa cage. Y'a pas de crocodile à Ottawa, mon vieux Chomsky. Y'a des lapins. Y'en a plein, des lapins. Et un blaireau. Un seul. Mais un gros.

MERCI - J'ai reçu une bonne quinzaine de commentaires pour ma série sur l'Irak, là-dedans je compte les deux que j'ai reçus à Bagdad, ce jour-là, y'avait eu comme une tempête de sable sur la ville, j'en avais partout, la douche ne fonctionnait pas, faisait chaud, j'étais fatigué, c'était le jour de mon texte sur les 100 morts et 200 blessés, je suis allé lire mes courriels, j'en avais deux, les deux disaient exactement la même chose: hé, pépère la virgule, vous écrivez: «Je suis dans une classe de petite filles», ça prend un «s» à petites.

C'est vrai. Une chance que vous êtes là.