Depuis 2010, les tenants d'une réduction radicale des dépenses publiques ont leur bible: une analyse de deux économistes vedettes, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (baptisés «RR»). Selon cette analyse, fondée sur les statistiques des 60 dernières années, les pays développés dont la dette publique dépassait 90% du PIB ont connu une croissance beaucoup plus faible que les autres. Conclusion tirée par les apôtres de l'austérité: les gouvernements dont la dette a franchi le seuil fatidique doivent comprimer radicalement leurs dépenses.

La semaine dernière, trois économistes de la University of Massachusetts ont jeté un pavé dans cette mare. En décortiquant les calculs de RR, ils ont découvert des failles consternantes. Notamment, une erreur de codage dans le fichier de calcul a provoqué l'exclusion des données relatives à 5 des 20 pays étudiés. Une fois les erreurs corrigées, la croissance moyenne des pays excessivement endettés n'est plus de -0,1%, mais de 2,2%. Autrement dit, le seuil de 90% est loin d'avoir l'impact catastrophique sur la croissance que ce que prétendent Reinhart et Rogoff. «Les données de RR ont servi de fondement intellectuel aux politiques d'austérité. Ces données se révélant erronées, il faudrait réévaluer le programme d'austérité lui-même, autant pour l'Europe que pour les États-Unis», conclut l'article dévastateur. «Les partisans de l'austérité découvrent que leurs héros ont des pieds d'argile», a souligné avec une satisfaction évidente le prix Nobel et chroniqueur Paul Krugman.

La crédibilité de Reinhart et Rogoff est évidemment ébranlée. Venant d'économistes de ce calibre, une faille aussi grossière qu'une erreur de codage est tout simplement inexcusable.

Cela dit, il ne faut pas oublier que, indépendamment de son effet plus ou moins négatif sur la croissance, l'endettement excessif des gouvernements est néfaste en soi. Il rend l'État très vulnérable aux chocs conjoncturels et aux humeurs des créanciers. Au fil des ans, un tel niveau d'endettement plonge les gouvernements dans un cercle vicieux dont il est très difficile de sortir.

Quand un gouvernement en arrive là, la compression des dépenses et la remise en ordre de la fiscalité sont les seules voies possibles. Toutefois, il en est de l'austérité budgétaire comme de toute autre politique: il faut éviter d'en faire une religion. Les auteurs des plans d'assainissement des finances publiques doivent tenir compte de l'impact des mesures choisies sur la population et du contexte particulier de chaque pays. Heureusement, certains responsables européens commencent à le reconnaître.

Désormais, le défi des pays très endettés sera d'amortir le choc de l'austérité sur les gens et sur la croissance sans toutefois relâcher la discipline budgétaire à moyen terme.