À neuf kilomètres de l'arrivée, les coureurs du marathon de Boston doivent gravir la redoutée et réputée Heartbreak Hill. Elle porte bien son nom: c'est la dernière et la plus longue d'une série de quatre ascensions qui jalonnent le parcours entre le 26e et le 33e km. C'est à cet endroit que ça passe ou que ça casse.

Mais lundi, pour des milliers de coureurs qui n'avaient pas terminé l'épreuve avant les deux explosions, l'événement crève-coeur est survenu quelques kilomètres plus loin, là où ils s'y attendaient le moins: être privé de la récompense ultime de franchir le dernier kilomètre sous les hourras des milliers de spectateurs agglutinés sur Boylston Street, avant de lever les bras en signe de victoire au fil d'arrivée.

Cette plénitude a plutôt fait place à la frustration d'être stoppé brutalement alors que l'aboutissement de plusieurs années d'investissement était à portée de main, à quelques minutes à peine de l'apothéose.

Au marathon de 2010, au 39e km, j'étais passé à côté d'un coureur qui était en train d'être réanimé par des secouristes à la suite d'un infarctus (il a heureusement survécu). Cette scène m'avait secoué et a sans doute contribué à mes troubles digestifs dans les minutes qui ont suivi la course. Alors, je n'ai pas de mal à me mettre dans la peau des coureurs qui, épuisés physiquement et émotivement après une épreuve aussi exigeante, les muscles endoloris, en proie à un refroidissement, ont été refoulés et longuement immobilisés, sans savoir ce qui se passait, sans pouvoir s'alimenter pour reprendre des forces, sans pouvoir contacter leurs parents et amis qui les attendaient impatiemment à quelques pâtés de maisons de l'arrivée.

Participer au marathon de Boston, c'est avant tout une célébration. Se qualifier pour cet évènement mythique est une gratification en soi. Les deux fois où j'y ai pris part, j'avais fait le voyage en autobus avec un groupe de coureurs québécois. J'ai alors pris pleinement conscience de l'esprit de camaraderie qui anime les coureurs. De leur côté profondément zen aussi. La tragédie de lundi a entaché ce sentiment de légèreté qui nous habite.

Lundi, je suivais sur l'internet la progression de mon collègue Michel Cusson qui est parvenu à briser la barrière des trois heures (2h54!) pour la première fois, un exploit que seulement 3% des marathoniens parviennent à accomplir. Moins de deux heures plus tard, je suis passé de la joie à la stupéfaction, pour ne pas dire à l'incrédulité, au fur et à mesure que des informations sur l'ampleur de ce cauchemar nous parvenaient.

J'ai réalisé à quel point la tragédie avait touché les gens quand j'ai commencé à recevoir des courriels d'amis et de connaissances qui n'avaient pas eu de nouvelles de moi depuis un certain temps et qui s'inquiétaient de savoir si j'étais sur le parcours à Boston au moment des déflagrations.

Hier, j'ai porté mes vêtements à l'effigie du marathon de Boston pour mon entraînement matinal. Ma façon de rendre hommage aux victimes et aux coureurs. Puis, sous la douche, sans crier gare, l'émotion m'a soudainement envahi. J'ai éclaté en sanglots. Le coeur brisé.