S'il y avait des élections demain matin, et que Justin Trudeau les remportait, aurait-il l'expérience, le talent, les connaissances, les idées pour devenir le premier ministre du Canada? La réponse est non.

Les Canadiens le savent. Dans un sondage Nanos de la semaine dernière, selon lequel les libéraux devancent les conservateurs pour la première fois depuis 2009, seulement 8,6% des répondants estiment que Justin Trudeau est le plus expérimenté pour diriger le Canada, contre 17,6% pour Thomas Mulcair et 41% pour Stephen Harper. Les militants libéraux le savent aussi, même s'ils lui ont confié avec enthousiasme la direction de leur parti.

Et c'est ainsi que le plébiscite qui a couronné Justin Trudeau repose sur une pratique extrêmement rare dans la vie politique: choisir un chef qui n'est pas vraiment encore fonctionnel. Et dans un pari extrêmement risqué, compter sur le fait que le nouveau chef sera capable, d'ici les prochaines élections, dans deux ans et demi, d'acquérir les compétences, les idées, l'autorité, le programme pour diriger un gouvernement. Un très gros contrat.

Bien sûr, le nouveau chef d'un parti n'est jamais vraiment prêt. Mais le chemin qui attend le nouveau leader libéral semble s'annoncer long et semé d'embuches. Depuis le début de la course au leadership, analystes et stratèges libéraux observent d'ailleurs de près la courbe d'apprentissage de Justin Trudeau, mesurent la rapidité de ses progrès et tentent d'évaluer son potentiel de croissance.

Dans ce pari, il y a un élément de stratégie du désespoir pour le PLC. Ce parti désorganisé, affaibli, relégué au troisième rang à la Chambre des communes, qui change de chef comme George Clooney change de partenaire, découvre qu'avec Justin Trudeau, les sondages reviennent favorables. Même si les libéraux savent que ce succès repose sur des bases fragiles, le charme de Justin Trudeau, le culte autour de l'héritage de son père et le caractère souvent éphémère des sursauts dans les sondages qui accueillent l'arrivée d'un nouveau chef.

Mais dans l'attraction qu'exerce manifestement Justin Trudeau, il y a quelque chose qui dépasse clairement son nom et son look. Dans une période où les gens sont désabusés de la politique - et donc aussi des politiciens - l'arrivée d'un outsider, plus jeune, dont l'inexpérience et l'extériorité deviennent paradoxalement des atouts, peuvent faire rêver. Dans le sondage Nanos, 30% des répondants trouvent que c'est Justin Trudeau qui est le plus inspirant, contre 17,8% pour Stephen Harper.

Cette promesse de changement repose aussi sur des éléments concrets qui dépassent son charme personnel. La vie politique canadienne s'est énormément polarisée, un processus exacerbé par Stephen Harper. Tellement qu'on se demande s'il y a encore une place pour le centre entre le PC et le NPD.

Le succès de Justin Trudeau, c'est de pouvoir incarner ce centrisme, dans les thèmes - concilier économie et environnement, prudence fiscale et humanisme, redonner son rôle au Canada, miser sur l'éducation - mais aussi dans son ton, dans son refus des vieilles chicanes, dans sa recherche de consensus. On verra s'il réussira à maintenir cet équilibre quand il devra quitter le terrain des généralités généreuses.

Justin Trudeau dispose d'un autre atout, et c'est sa forme particulière de populisme. Il aime les gens, il est à l'aise avec eux, s'intéresse à eux. Il articule son discours autour de la classe moyenne. Il a aussi tendance à analyser les enjeux en fonction de ce que les citoyens souhaitent, à vouloir bâtir son programme à partir de la base, en écoutant les gens et en tentant de refléter leurs aspirations. C'est en fait exactement le contraire de ce que faisait son illustre père, qui définissait seul sa propre vision et qui tentait ensuite de l'imposer.