Elle  divisait l'opinion de son vivant et continue de le faire après sa mort. Le décès de Margaret Thatcher a suscité des réactions diamétralement opposées en Grande-Bretagne et ailleurs dans le monde. Ainsi, se disant «ravi» par la disparition de la Dame de fer, un syndicaliste anglais du secteur des mines a levé son verre à ce «jour merveilleux, le meilleur de ma vie»...

Pourtant, celle qui fut première ministre pendant 11 ans est aujourd'hui largement considérée comme l'un des deux chefs d'État ayant marqué le XXe siècle britannique. L'autre est Winston Churchill, bien sûr. Et tous deux avaient bien des choses, les plus importantes, en commun.

La vision et la conviction, d'abord. À la fin des années 70, la Grande-Bretagne se tiers-mondise; le Fonds monétaire international fait crédit; on vit d'une grève à une autre, le taux marginal d'imposition est de 83% sans que cela ne renfloue un État quasi-socialiste dilapidateur... bref, l'économie s'est effondrée. Elle voit cela. Et elle voit ce que devra être une oeuvre de salut national. Élue en 1979, elle aurait pu promettre, comme Churchill en 1940, «de la peine, des larmes et de la sueur».

D'où le courage.

Thatcher s'est attaquée aux institutions les plus puissantes dont, justement, le syndicat des mines. Elle a privatisé des monopoles d'État et refaçonné les programmes sociaux en mettant l'accent sur la responsabilité. Faisant cela, la première ministre ne s'est jamais épuisée à chercher d'improbables consensus. Ni beaucoup tenu compte des hauts cris des marchands de mots: la presse, menée en cela par la BBC, ainsi que l'intelligentsia étaient largement hostiles à Miss Maggie - sans parler de l'IRA, qui faillit la tuer.

Le fait est qu'elle remit le pays sur les rails. Et son influence fut telle qu'elle poussa les travaillistes à revoir les fondements de leur parti et à accoucher, sous Tony Blair, du New Labour.

Anticommuniste, amie de Ronald Reagan, c'est elle qui tendit la main à Mikhaïl Gorbatchev avant que le président américain ne le fasse aussi. Mais, occupée à défendre férocement l'intérêt national, elle connut des épisodes moins heureux. Dans ses relations avec l'Argentine (la guerre des Malouines), par exemple, ou avec l'Afrique du Sud (ce qui la mit en froid avec Brian Mulroney).

***

Dans les clubs sélects de Londres, où les femmes n'étaient pas admises avant qu'elle ne s'y impose avec une admirable effronterie, les lords la désignaient souvent avec dédain comme une «fille d'épicier». C'est ce qu'elle était en effet, ayant hérité de son père, non pas l'échoppe de Grantham, mais la droiture et le sens du devoir.

Nonobstant ce qu'on a pu lui reprocher (comme Churchill encore, elle fut chassée sans façon du pouvoir), c'est à partir de cet héritage moral qu'elle est parvenue à remettre de l'ordre dans sa boutique à elle, celle de l'État, celle de la nation.