Ce court séjour à Toronto, cette fin de semaine, pour suivre le dernier événement officiel de la course à la direction du Parti libéral du Canada (PLC) aura été un voyage dans le temps. Un voyage couvrant les deux dernières décennies, qui ont vu les libéraux atteindre des sommets avant de s'écraser lamentablement.

Premier flashback, juste en face de mon hôtel: le restaurant Wayne Gretzky 99, où Paul Martin et son clan avaient tenu une première conférence de presse triomphale, il y a bientôt 10 ans, après avoir finalement remplacé Jean Chrétien comme chef du PLC et premier ministre du Canada.

À quelques coins de rue de là, l'Air Canada Center, domicile des Maple Leafs et des Raptors, là où les libéraux avaient dit adieu à Jean Chrétien pour accueillir, dans le délire, son successeur au terme d'une guerre de pouvoir ayant miné le parti pendant plus de 10 ans. Même Bono, le chanteur de U2, était venu vanter les mérites du Canada et de son nouveau premier ministre!

Entre ces deux endroits, le Centre des congrès de Toronto, incontournable point sur la carte politique canadienne, où deux personnages centraux de la scène actuelle sont devenus chef de leur parti, soit Stephen Harper en 2004 et Thomas Mulcair l'an dernier.

Je me souviens encore de la petite salle bondée du restaurant Gretzky, des yeux rougis des proches de Paul Martin et même des effluves d'alcool de certains. Le party de victoire avait été intense, de toute évidence, et la nuit, courte. Même Paul Martin avait l'air un peu lendemain de veille. Peut-être était-ce précurseur de la solide gueule de bois qui attendait les libéraux.

Pour Paul Martin et sa bande, le plus dur avait été de s'y rendre. La bataille pour devenir enfin chef du PLC avait été tellement épuisante qu'il ne leur restait plus d'énergie pour la suite, soit gouverner et préparer la prochaine campagne électorale. La suite, justement, on la connaît.

C'est tout le contraire pour Justin Trudeau, qui surfe paisiblement vers la direction du PLC et dont la victoire sera confirmée dimanche, à Ottawa. Il n'aura pas eu à se battre ni à attendre très longtemps pour y arriver.

Ce dernier événement de la course, samedi, permettait aux six candidats encore en lice de faire un ultime discours officiel devant environ 1500 militants. Si des doutes subsistaient encore sur l'avance de Justin Trudeau, ils n'auront pas survécu à cet événement.

Dans le clan Trudeau, par contre, l'ambiance n'est pas aussi éthérée qu'elle l'était chez les pro-Martin, il y a 10 ans. La dernière décennie a été éprouvante pour le PLC et Justin Trudeau a intérêt à être prêt pour la suite, parce que la tâche s'annonce colossale.

«Nous sommes fin prêts pour la suite», m'a affirmé un conseiller de Justin Trudeau, vendredi à Toronto. Craignant de passer pour arrogants, les proches du futur chef ajoutent systématiquement «si Justin gagne le leadership» à la fin de leurs phrases, mais dans les faits, ils sont déjà passés à l'étape suivante.

L'équipe de transition est prête (pour les travaux parlementaires, le bureau du chef et la réorganisation du parti), des décisions quant à la structure du PLC sont déjà arrêtées (bye-bye, aile québécoise, notamment) et les surplus de la cagnotte (environ un million) sont déjà destinés à des activités spécifiques du parti.

Mais surtout, la riposte aux attaques probables des adversaires est déjà prête. En fait, il serait plus juste de parler de frappe préventive que de riposte.

En politique, c'est bien connu, il vaut mieux se présenter et se définir soi-même que de laisser ses rivaux s'en charger, comme les conservateurs ont fait à Michael Ignatieff et Stéphane Dion. Le nouveau chef libéral entend donc se présenter lui-même aux Canadiens avec une campagne publicitaire qui est, me dit-on, déjà prête.

Cela n'empêchera probablement pas les conservateurs, les néo-démocrates et les bloquistes de lancer leurs attaques. À ce chapitre, Justin Trudeau et son entourage se méfient autant, sinon plus, de Thomas Mulcair que de Stephen Harper. Il est vrai que les deux ont beaucoup à perdre si la vague de sympathie envers le jeune Trudeau constatée dans les sondages perdure.

Un autre défi, de taille celui-là, attend aussi M. Trudeau: la reconstruction d'un parti exsangue. La présente course aura permis de regarnir quelque peu le membership, mais on est loin des belles années. D'autant que le chiffre de 130 000 électeurs libéraux est trompeur, puisque près de 100 000 sont des «sympathisants» et non des membres en règle. Continueront-ils à suivre le parti et à militer une fois la course terminée?

Les conservateurs comptaient 250 000 membres lorsque Stephen Harper est devenu chef. Le Nouveau Parti démocratique avait 130 000 membres, l'an dernier, à la fin de la course à la direction.

En plus de diriger les travaux de reconstruction de son parti, Justin Trudeau devra plonger dès le lendemain de son élection dans d'autres travaux, ceux de la Chambre des communes. Il n'aura pas beaucoup de temps pour apprendre son métier de chef, et devra le faire sur le tas.

Son premier test électoral viendra aussi rapidement, puisque Stephen Harper a déclenché une élection partielle dans la circonscription de Labrador pour le 13 mai.

Pour Justin Trudeau, le vrai test n'a pas eu lieu au cours des cinq derniers mois, il l'attend au cours des cinq prochaines semaines.

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