Si les paradis fiscaux existent, c'est parce que la culture de l'évasion fiscale est profondément enracinée, qu'il y a assez de contribuables fortunés, dans tous les pays, prêts à éviter par tous les moyens de payer leur juste part. Ces paradis fiscaux existent aussi parce qu'ils sont tolérés, qu'ils sont intégrés aux réseaux financiers et que les grandes puissances ne prennent pas les moyens de les mettre au pas.

Les révélations du Consortium international des journalistes d'enquête, la semaine dernière, sur le recours à des comptes secrets dans des paradis fiscaux par environ 130 000 personnes, n'ont hélas rien de surprenant. Nous savons tous depuis longtemps que cela existe.

Ces informations, qui proviennent de l'analyse de millions de courriels contenus sur un disque dur transmis de façon anonyme, révèlent que 450 Canadiens avaient des avoirs dans ces paradis fiscaux, dont 45 Montréalais. Elles donneront la frousse à d'autres, qui craindront qu'un jour, ce soit à leur tour de voir révélées leurs activités offshore.

Ce qui est décourageant, c'est l'étendue du monde des paradis fiscaux. Cette enquête repose sur les documents de seulement deux sociétés de services financiers, qui opéraient dans un nombre restreint de paradis fiscaux, comme les îles Cook et les îles Vierges. Le montant total des capitaux qui se trouvent dans ces paradis fiscaux atteindrait en fait 20 000 milliards de dollars.

Cela jette un voile sur la complexité de cet univers, avec ses recoins franchement noirs, mais toutes ses zones grises, ses complicités, l'interaction entre l'économie légale et celle qui l'est moins. Les institutions financières qui ont pignon sur rue dans les pays avancés participent à ces mouvements de capitaux, créent des sociétés offshore pour leurs clients, transfèrent des fonds.

Parmi ceux qui ont eu recours à ces comptes offshore, on retrouvera certainement des cas d'évasion fiscale. Parfois de l'argent sale. Parfois des revenus légitimes que l'on sort du pays en catimini pour ne pas les déclarer au fisc. On encore, une façon de mettre à l'abri du fisc les revenus que produit un patrimoine.

Mais l'utilisation des paradis fiscaux sert aussi à des montages plus ou moins complexes qui permettent de faire des affaires ailleurs dans le monde, à partir de pays dont la fiscalité est moins gourmande ou la réglementation moins lourde. Les multinationales le font. Un promoteur immobilier québécois peut vouloir établir son siège social au Luxembourg ou quelque part dans les Caraïbes. Et c'est parfaitement légal.

Il y a d'autres pratiques, elles aussi parfaitement légales, où l'on ne cache pas d'argent dans ses valises, mais où l'on fait plutôt ses valises pour aller vivre ailleurs afin de payer moins d'impôt. Un retraité qui s'installe au Costa Rica, des artistes en Irlande ou en Suisse, comme Luc Plamondon, ou encore le déménagement en Belgique du milliardaire français Bernard Arnaud et de Gérard Depardieu. Dans ces cas-là, on parle plutôt d'évitement fiscal. Et même si c'est légal, quoique pas toujours éthique, la perte de revenus est exactement la même pour le fisc.

Comment peut-on atténuer ces pratiques? D'abord par une fiscalité intelligente, capable de bien définir ce que doit être la juste part exigée des plus fortunés. Plus la fiscalité est légitime, mieux elle est acceptée, plus il est facile de combattre ceux qui veulent s'y dérober.

Ensuite avec un peu moins d'hypocrisie. Un grand nombre de paradis fiscaux sont de petit pays qui vivent en symbiose avec les puissances économiques- Monaco, Luxembourg, Irlande, Suisse, Singapour. Quant aux autres, comme les petites îles tropicales, il est assez évident qu'elles ne pourraient pas résister aux pressions des pays avancés si ceux-ci voulaient vraiment s'attaquer à l'opacité de leurs secrets bancaires.