Le Moulin à images de Robert Lepage va cesser de tourner à l'automne. La Ville de Québec a en effet décidé de ne pas renouveler le contrat la liant à Ex Machina depuis 2008. La production initiée dans le cadre du 400e anniversaire de la ville, offerte gratuitement au public, mais coûteuse (plus de 3,5 millions par année), avait à sa saison initiale attiré 600 000 spectateurs. Cet achalandage a diminué au cours des étés qui ont suivi.

Cette fin annoncée a mis en branle un autre moulin. À paroles, celui-là.

Des élus municipaux se sont dits d'avis que le maire Régis Labeaume a eu tort de s'engager pour cinq ans dans cette aventure. Que l'argent des contribuables a été «gaspillé». Que le trésor public serait mieux avisé d'investir dans des événements générant davantage de retombées économiques. Le Carnaval de Québec, par exemple.

Certes, il faut rendre au Bonhomme ce qui appartient au Bonhomme - sa tradition, ses festivités, sa réussite et, oui, son impact économique. Mais l'argument fond à vue d'oeil lorsqu'on saisit que le Moulin à images, c'est tout simplement autre chose.

C'est d'abord une oeuvre d'art parfaitement réussie. Une oeuvre à la Lepage, ambitieuse, grandiose, inclassable. Si la projection architecturale est un genre en soi, le catalogue en était jusque là bien mince. «Au départ, ce n'était pas très clair: on ne voulait pas faire un documentaire, ni un film, ni du théâtre non plus, ni un 'Parc-Canada'... On voulait quelque chose qui tienne du feu d'artifice et du livre d'art», disait Lepage quelques jours avant la première projection (cité dans Dans le ventre du Moulin, documentaire de l'ONF).

Il y a plus, et c'est presque une constante dans ce que fait Robert Lepage: son Moulin est parvenu à toucher toutes les cibles à la fois. Un, l'inventivité artistique, la recherche de la beauté, la virtuosité technologique. Deux, la pédagogie sans douleur. Trois, le succès populaire: lorsque les silos à grains de la Bunge cesseront de porter des images, en septembre, certainement plus de deux millions de personnes, gens du lieu et étrangers, auront assisté à la performance.

Dernière chose.

Québec n'est pas une ville comme une autre. Elle est unique à l'échelle de l'Amérique du Nord. Sa force, c'est son passé, son identité, son esthétisme, sa majesté. Illuminant le vieux port, les images du Moulin, faites par et pour Québec, ont ajouté (et ajouteront encore cet été) à cette beauté.

Et passeront à son histoire.