Il y avait un moment que je voulais m'asseoir avec Martin Cauchon pour lui poser cette question qui me titille depuis qu'il s'est lancé dans la course à la direction du Parti libéral du Canada (PLC): pourquoi?

Bon, je précise un peu: pourquoi se lancer dans une course qui n'en est pas vraiment une, dont le résultat est connu (du moins, le croit-on, majoritairement) depuis le jour un, ce qui ne laisse, aux adversaires de Justin Trudeau, qu'un rôle de figurant?

«Parce que je suis un fier libéral et parce que mon parti a besoin d'un chef d'expérience, avec du contenu, avec des valeurs», m'a-t-il expliqué un matin de cette semaine dans un café du Vieux-Montréal.

L'ex-ministre de la Justice du gouvernement Chrétien, qui a quitté la politique il y a près de 10 ans, aurait pu ajouter qu'il s'est lancé parce qu'il est accro, ce pourquoi il a tenté, sans succès, de récupérer Outremont aux mains de Thomas Mulcair, en 2011.

Il faut être en manque pour s'endetter de 75 000$ pour lancer sa campagne (il affirme qu'il terminera sans dette), pour faire des dizaines de téléphones pour solliciter des dons, pour voyager dans cet immense pays, pour mettre sa carrière et sa famille en veilleuse, pour sacrifier ses fins de semaine et bien des heures de sommeil...

D'autant plus que, même si Martin Cauchon n'aime pas qu'on dise cela, on se dirige vers un couronnement de Justin Trudeau, le 14 avril, à Ottawa.

«C'est ce que les médias disent, mais je pense que les militants, eux, commencent à se poser des questions et ils se demandent qui ils veulent comme chef», dit-il.

M. Cauchon donne pour exemple les récentes déclarations de Justin Trudeau. «Justin a dit que c'est un mythe de dire que le Québec n'a pas signé la Constitution. Je pense qu'il est un peu mêlé», avance-t-il.

Malgré quelques accrochages, Martin Cauchon affirme être en bons termes avec son rival. Ce qui ne l'empêche pas d'être visiblement irrité par le traitement de «rock star» réservé à M. Trudeau par les médias qui, critique-t-il, s'intéressent trop peu au contenu de cette course.

M. Cauchon cache mal, par ailleurs, son agacement devant le PLC, et son establishment, qui favorise le fils Trudeau, laisse-t-il entendre.

Il admet que la popularité favorise Justin Trudeau, mais il est persuadé d'avoir beaucoup plus à offrir. «Justin et moi, on ne vient pas du même monde, dit-il. Moi, je suis un chat de ruelle... Les militants vont y penser. L'autre jour, après le débat de Montréal, des supporteurs de Justin sont venus se faire prendre en photo avec moi... après avoir enlevé leur macaron "Justin"...»

J'écoutais Martin Cauchon, cet ancien protégé de Jean Chrétien, bien calé dans son fauteuil en buvant son latté et, malgré son enthousiasme, j'avais du mal à croire qu'il pensait vraiment pouvoir battre Justin Trudeau. Franchement, je ne crois pas qu'il le pense, mais il sait qu'il se positionne pour la prochaine course, au cas où les affaires de Justin Trudeau tourneraient mal. On ne sait jamais. M. Trudeau est populaire, certes, mais il est jeune, inexpérimenté et plutôt doué pour les déclarations controversées. Il est vu comme un sauveur par plusieurs libéraux, mais cela n'est pas nécessairement gage de succès, comme en témoignent les très nombreux sauveurs déchus qui errent dans la mémoire des partis politiques.

Dernière occasion de se faire voir et entendre pour Martin Cauchon, samedi prochain à Toronto, où tous les candidats encore en lice défileront sur la scène du Centre des congrès pour un ultime discours devant les militants libéraux.

Pour la première fois au Canada, les «sympathisants» pourront aussi voter pour le nouveau chef du PLC (il suffisait de s'inscrire sans même devenir membre en règle), mais M. Cauchon fonde d'abord ses espoirs sur les membres qui, dit-il, penseront à l'avenir du parti au lieu d'être simplement entraînés par un effet de mode.

«Il y a 10 ans que je suis parti, c'est vrai, mais je n'étais pas en vacances! J'ai travaillé, j'ai voyagé, je me suis bonifié et j'apporte beaucoup d'expérience», plaide-t-il.

Seul candidat ayant servi dans le gouvernement Chrétien, il affirme ne pas traîner avec lui le souvenir embarrassant des commandites. «Non, plus personne ne parle de ça, dit-il. Je n'ai pas été touché et cette histoire a fait de moi un meilleur politicien.»

À supposer que Martin Cauchon croit vraiment en ses chances, une autre question me tournait dans la tête: pourquoi avoir attendu si tard, à la toute dernière journée en fait, en janvier, pour se lancer dans cette course? Dans la fable du lièvre et de la tortue, la négligée gagne devant le favori, mais elle se met en branle très tôt. M. Cauchon, lui, a fait l'inverse.

«Je ne pouvais pas avant, dit-il. Je travaille, j'ai un vrai job dans la vie [il est à la tête de la division "Chine" au cabinet Heenan Blaikie]. Avant Noël, j'ai littéralement fait le tour du monde et je suis revenu malade comme un chien! J'ai attendu aussi pour des raisons stratégiques. En trois mois, avec une bonne campagne, tout est possible.»

Et si, comme tout le monde le pense, il ne gagne pas, se présentera-t-il quand même pour son nouveau chef?

«Je ne suis vraiment pas rendu là», répond-il, ce qui, dans les faits, veut plutôt dire non.

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