Je vais commencer par un aveu. Je n'aime pas beaucoup le ministre des Finances, Jim Flaherty, avec ses envolées trop partisanes, son discours économique parfois simpliste, et son obsession pour l'élimination rapide du déficit, qui s'est encore manifestée dans les dernières semaines.

Mais il y a une grande différence entre le style personnel du ministre, l'image politique qu'il veut projeter et le contenu du budget qu'il a présenté hier. Dans son huitième budget, on ne sent pas le dogmatisme dont son parti est capable. Il est prudent et modéré dans sa lutte au déficit, et il propose, pour la toute première fois, une vision stratégique du développement économique.

Commençons par l'élimination du déficit. M. Flaherty réaffirme l'intention de son gouvernement de le ramener à zéro en 2015-2016, à temps pour les prochaines élections. Ce credo conservateur a suscité de nombreuses critiques, parce que les politiques d'austérité risquent de freiner davantage une économie déjà aux prises avec un ralentissement.

Mais le ministre parvient à résoudre la quadrature du cercle. Comment? Il reste ferme pour la date butoir de 2015, mais il est très laxiste pour les deux années qui précèdent. Pour l'année qui commence dans quelques jours, 2013-2014, il laisse carrément bondir le déficit. Après l'avoir prévu à 10,2 milliards dans son budget de mars dernier, il l'établit maintenant à 18,7 milliards, une augmentation de 83%. Pour 2014-2015, le déficit passe de 1,3 à 6,6 milliards. On ne peut vraiment pas parler d'une approche agressive.

Grâce à ce gonflement important du déficit, le ministre évite d'imposer des compressions sauvages. Il permet aussi à son budget de stimuler l'économie d'une façon qui n'a rien de néolibéral, car ce déficit additionnel constitue en fait une injection de 8,5 milliards.

Cette stratégie est toutefois risquée. La victoire contre le déficit repose essentiellement sur les fruits des mesures d'austérité mises en place les années précédentes, auxquelles s'ajoutent quelques initiatives plus modestes - recours au télétravail, lutte à l'évasion fiscale. Mais ce qui permettra d'arriver au déficit zéro, ce sont d'importantes hausses de revenus fiscaux prévues l'an prochain et dans deux ans. Sans ces revenus, le gouvernement devra se résoudre à un coup de barre l'an prochain. C'est un pari. Ottawa a perdu 4 milliards cette année, juste à cause des prix du pétrole.

Dans son autre fonction, celle d'un plan d'action économique, ce budget s'écarte du chemin tracé par les précédents. Les premiers budgets, à partir de 2006, cherchaient à remplir les promesses électorales, notamment la malencontreuse idée de réduire la TPS. Les suivants ont dû composer avec la crise. Dans ce huitième budget, le gouvernement conservateur, en général pas très à l'aise avec les grandes visions, propose une véritable stratégie économique.

Cette stratégie repose sur un grand objectif, rendre l'économie canadienne plus compétitive, s'attaquer au problème de la productivité pour augmenter le niveau de vie. Et il le fait en ciblant les bonnes priorités.

D'abord, la formation, pour aider les gens à combler les besoins, plutôt que de créer des emplois, dans une approche plus conservatrice, qui reposera sur les entreprises, plutôt que sur les gouvernements. Cela forcera Ottawa à une négociation avec les provinces qui provoquera des flammèches. Ensuite, une panoplie de mesures pour favoriser l'innovation dans toutes ses déclinaisons. Enfin, une poursuite plus ciblée des grands travaux d'infrastructures.

Il est difficile de voir si les mesures précises atteindront leur cible. Mais ce sont les bonnes priorités et les bons messages pour créer de la richesse et s'attaquer aux problèmes qui plombent l'économie canadienne. Il y a cependant, dans cette stratégie, une certaine forme d'interventionnisme de bon aloi qui s'éloigne du laisser-faire conservateur. Et c'est tant mieux.