Selon les Rita Mitsouko, «les histoires d'amour finissent mal, en général». On pourrait dire la même chose de la grande majorité des histoires entre les chefs politiques et leur parti. Surtout après une défaite électorale.

À voir l'accueil réservé par les militants libéraux à Jean Charest, la fin de semaine dernière à Verdun, on pourrait croire que cette relation, contrairement à bien d'autres, s'est bien terminée.

C'était la première fois, samedi soir, qu'on le voyait en public depuis sa défaite du 4 septembre, et Jean Charest n'a pas déçu ses partisans.

Tous les journalistes présents ont aussi reconnu le Jean Charest combattif, batailleur, mordant qu'ils ont suivi pendant des années, et tous ont noté ses pointes acerbes lancées vers le gouvernement Marois.

Du grand Charest, certes, mais ce n'était ni l'endroit ni le moment pour un tel discours, qui manquait d'élévation. Cela manquait de recul aussi, ce qui est normal, seulement six mois après une défaite électorale. Visiblement, l'ancien chef libéral n'a toujours pas digéré sa défaite, les sondages, les critiques, et au lieu de parler de l'histoire et de l'avenir de son parti, il a réglé ses comptes avec le gouvernement présent.

«Il faut bien se faire plaisir», a avoué M. Charest après être sorti de son texte pour planter le gouvernement péquiste. Le devoir de réserve attendra. Pour le moment, M. Charest est encore profondément meurtri.

Un Québécois qui se serait réveillé d'un coma de six mois, hier soir, en écoutant Jean Charest n'aurait pas réalisé que celui-ci a quitté la politique et qu'il n'est plus le chef du Parti libéral. C'est comme s'il régnait toujours sur ses sujets libéraux.

Cette impression est trompeuse, parce que derrière les ovations, bien des libéraux reprochent à leur ancien chef d'avoir coupé le parti de sa base, d'en avoir fait une machine à gagner des élections et non à débattre d'idées, de les avoir muselés, d'avoir déclenché les élections au mauvais moment et avec une mauvaise stratégie (la rue contre la démocratie), d'avoir toléré des pratiques douteuses, etc. Un ancien conseiller a même reconnu, en privé, que M. Charest avait attendu trop longtemps avant de déclencher une commission d'enquête sur l'industrie de la construction.

Le nouveau chef, Philippe Couillard, ne s'est pas gêné pour critiquer quelques décisions de son prédécesseur pendant la course à la direction, et tout le monde sait que les deux hommes n'ont pas beaucoup d'atomes crochus.

Reste à voir quel rôle voudra maintenant jouer Jean Charest. Effacé, discret, s'occupant de sa nouvelle carrière ou, au contraire, belle-mère incapable de tourner la page?

Je pencherais pour la première option, mais à le voir heureux comme un enfant dans une confiserie, samedi soir, je n'exclus pas quelques incursions sporadiques, ce qui déplairait certainement à son successeur.

Souvent compliqué, les histoires de partis et d'ex-chefs...

C'est particulièrement vrai au Parti québécois (PQ), qui a une riche histoire de belles-mères et de chefs déchus.

On se souvient évidemment de René Lévesque, Saint-René, fondateur du parti et patron de la souveraineté, abandonné par les siens dans des circonstances plutôt sordides.

Lucien Bouchard, le héros qui les a presque menés à la Terre promise, accusé par la suite de ne pas être un «vrai» et même hué (in absentia, heureusement) lors d'un congrès du PQ (de même qu'un autre «impur», Pierre Marc Johnson), ce qu'il n'a jamais digéré!

Il y a aussi le «militant exemplaire», Bernard Landry, dont les très nombreuses sorties publiques ont maintes fois embarrassé, parfois aussi profondément irrité, ses successeurs.

Le cas de Jacques Parizeau est unique: il est à la fois patriarche et belle-mère suprême. Chacune de ses apparitions provoque une commotion dans son parti. Et la joie chez ses adversaires.

Sur la scène fédérale, les chicanes de famille sont aussi fréquentes. Pensez seulement à Stephen Harper qui, dans la foulée de l'affaire Schreiber, avait ordonné à ses députés de couper tout lien avec Brian Mulroney. Les relations se sont depuis réchauffées, toutefois.

Kim Campbell et Joe Clark ne sont, quant à eux, qu'un vague mauvais souvenir chez les conservateurs qui les ont connus.

Au Parti libéral du Canada (PLC), on évoque le nom des trois derniers chefs (Ignatieff, Dion et Martin) en chuchotant, comme on parle de vieux secrets de famille honteux à table. Et John Turner? John qui?

La place de Jean Chrétien est différente. Il a été le dernier, après tout, à décrocher une majorité pour le PLC (en 2000) et ses talents d'orateur et de bête politique, comme ceux de Jean Charest, manquent aux libéraux. Par contre, il a quitté son poste, comme Jean Charest, dans une période trouble de son parti.

Les relations entre le Nouveau Parti démocratique et ses anciens chefs semblent plus harmonieuses. Alexa McDonough et Audrey McLaughlin ont carrément disparu (déjà qu'elles n'étaient pas très visibles quand elles étaient en poste) et Ed Broadbent, «Honest Ed», comme on le surnomme à Ottawa, est un patriarche respecté, mais discret.

Jack Layton, lui, est encore très présent, puisque les néo-démocrates rappellent constamment son souvenir et son héritage.

Même mort, un ancien chef peut devenir une belle-mère.